Daniel Payot : « Une image d’effervescence »

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2013 - 1535 mots

Pour Daniel Payot, adjoint au maire en charge de la culture, la vie culturelle strasbourgeoise est dense et diversifiée, mais cela ne se sait pas assez.

Daniel Payot, professeur de philosophie de l’art à l’université Marc-Bloch à Strasbourg, établissement dont il a été le président, est adjoint au maire en charge de la culture.

Jean-Christophe Castelain : Quels projets concrets sont issus des assises de la culture que vous avez organisées peu après votre arrivée à la municipalité, en 2009 ?
Daniel Payot : Les assises n’avaient pas pour mission de déboucher sur des projets concrets. Nous avions fait le constat d’une vie culturelle très intense à Strasbourg mais dont l’on ne parlait pas assez. On a donc collationné des éléments de bilan, pour pouvoir partager un diagnostic sur l’ensemble du paysage culturel. Ce sont surtout des professionnels qui ont participé à ces débats, notamment des animateurs dans les quartiers et des représentants du monde économique. Comme Toulouse, qui a fait l’objet d’une enquête par votre journal, nous avons un problème de lisibilité de notre politique culturelle, pour des raisons différentes. Il n’y a pas à Strasbourg d’orientation marquée dans un domaine, nous occupons tous les secteurs de la vie culturelle. Lors du mandat précédent, exercé par Fabienne Keller et Robert Grossmann, plusieurs nouveaux équipements avaient été construits. Notre priorité a plutôt été d’assurer un bon fonctionnement à nos équipements et d’œuvrer à leur appropriation par les habitants.

La culture a-t-elle été un enjeu lors de la dernière campagne municipale ?
Il n’y a pas de clivage politique sur ce sujet ; d’ailleurs la rubrique culture occupait peu de pages dans les brochures électorales. De notre côté, le débat portait sur la nécessité ou non d’organiser un événement spectaculaire. Personnellement je n’en suis pas convaincu, compte tenu des difficultés budgétaires. J’en profite pour dire qu’il n’a jamais été question de fusionner le Musée alsacien et le Musée historique.

Quel est aujourd’hui le budget de la culture de la Ville ?
Le budget de fonctionnement est de 85 millions d’euros, soit environ 25 % du budget de la Ville. Il tient compte de près de 780 agents permanents, se compose du budget des écoles (HEAR, conservatoire) pour 17 millions d’euros, de celui des musées, médiathèques et opéra (52 millions, dont 17 pour les musées), et du soutien à la création et l’action culturelle (16 millions).

Où en est le projet de réserve commune pour les musées municipaux ?
C’est un projet évoqué depuis longtemps et nécessaire. Quand nous sommes arrivés, une partie des réserves du Musée historique se trouvait au Palais des fêtes, un lieu non adapté à la conservation des œuvres. Nous avions besoin d’une politique globale en la matière car aujourd’hui les réserves sont réparties sur vingt et un sites. Notre réflexion est en train d’aboutir ; au cours du prochain mandat, nous devrions construire un bâtiment en périphérie de la ville qui ne sera pas simplement un lieu d’entreposage, mais aussi un centre de documentation. Le concours d’architecture est prévu fin 2013 pour une ouverture espérée en 2015. Nous construirons le site en plusieurs étapes. C’est un budget avoisinant les 10-15 millions d’euros.

Pourquoi avoir demandé le label « Ville d’art et d’histoire » ?
Cela fait partie de notre stratégie globale sur le patrimoine, qui comprend une extension de la zone Unesco à la Neustadt, le quartier construit par les Allemands entre 1870 et 1918. Nous voulons montrer tout l’intérêt historique du développement urbain de Strasbourg, qui ne se réduit pas à la Grande-Île [le centre historique], même si peut-être, pour oublier les traumatismes liés aux guerres et aux annexions, la ville a pu sembler s’y replier. Strasbourg bénéficie depuis longtemps d’une image patrimoniale et touristique, aussi l’absence de ce label apparaît comme une sorte d’hérésie. Ce label suppose que l’on ouvre un « centre d’interprétation » dans le centre-ville, destiné à informer les habitants et les touristes sur nos richesses patrimoniales. Nous accueillons beaucoup de touristes – que l’on pense au marché de Noël –, mais ils ne séjournent pas assez longuement en ville, c’est souvent une visite d’un jour.

Quelle décision a été prise concernant le devenir de l’Ancienne Douane ?
L’Ancienne Douane est un bâtiment historique détruit pendant la guerre, reconstruit à l’identique, et qui, dans les années 1970-1980, a été utilisé comme lieu d’exposition, à un moment où il compensait partiellement l’absence d’un musée d’art moderne. Des expositions d’art contemporain y ont été organisées qui ont connu un grand retentissement auprès des Strasbourgeois. Il y a eu un débat à l’intérieur de la municipalité et le maire a fait un arbitrage qui n’est pas allé dans le sens d’un lieu culturel. Il veut en faire un marché couvert et un lieu de restauration, pour promouvoir un certain type d’agriculture en circuit court, qui a besoin d’être dynamisé. Il y a beaucoup d’agriculteurs sur le territoire, et la biodiversité a besoin des villes.

Comment allez-vous alors résoudre l’absence de lieu d’exposition pour l’art ancien ?

Les expositions d’art ancien ont lieu au palais Rohan ou au Musée de l’Œuvre Notre-Dame, mais il est vrai que ces lieux ne sont pas tout à fait adaptés pour de grandes expositions. Nous n’avons pas encore trouvé de solution.

Vous risquez d’en avoir besoin pour « Strasbourg 2015 » ! Ce projet prend-il corps ?
Oui, on avance bien du côté Ville, et, bien entendu, du côté archevêché, pour les 1 000 ans des fondations de la cathédrale. L’idée est d’organiser moins un grand spectacle qu’une multitude de manifestations pour montrer la diversité de notre paysage culturel. Il y aura une grande exposition sur la construction de la cathédrale au Musée de l’Œuvre Notre-Dame, mais aussi des initiatives plus inattendues. C’est une image d’effervescence que nous souhaitons projeter.

Où en est le legs Denise René ?
Denise René a légué à la Ville de Strasbourg une partie de sa collection personnelle, soit environ 1 500 tableaux, dessins, sculptures ou archives, le testament mentionnant aussi d’autres légataires. Nous attendons le résultat précis de l’inventaire de ce qui nous revient, ce qui, je dois le dire, traîne un peu. Denise René a conditionné son legs au fait qu’environ 25 % des œuvres soient exposées à l’Aubette. Nous déterminerons le lieu d’exposition en fonction des œuvres et de leur condition de présentation. Le choix le plus simple serait la grande salle, mais elle sert actuellement de lieu de conférence et d’animation. Quoi qu’il en soit, c’est une grande chance pour la Ville de recevoir une telle donation, qui aura aussi un effet d’attraction pour ce lieu. Des discussions en ce sens s’étaient déjà déroulées dans les années 1990 avec Denise René elle-même, mais elles n’avaient pu aboutir. Cette fois, nous sommes confiants.

Vous évoquez, dans une récente brochure qui fait le bilan de votre action culturelle, l’installation d’un nouvel espace culturel et créatif dans l’entrepôt Seegmuller. De quoi s’agit-il ?
L’entrepôt Seegmuller est une ancienne usine d’armement localisée dans une zone très importante pour nous, car elle fait partie de l’actuelle « poussée » de la ville vers l’Allemagne. On y trouve par exemple le conservatoire et la médiathèque Malraux. Nous avons acquis une partie de cette friche industrielle pour en faire un lieu dont la définition est en cours et qui doit ouvrir en septembre 2014. Elle réunira en gros deux composantes : des espaces bureautiques où de jeunes entreprises ou des free-lance pourront venir travailler ensemble, et un lieu d’expérimentation au croisement de l’art, du numérique et du son. Un peu comme la Gaîté-Lyrique à Paris, mais à une autre échelle.

La Ville offre-t-elle des ateliers d’artistes ?
Oui, une vingtaine d’ateliers, situés dans le Bastion 14, un ancien bâtiment militaire juste derrière la gare. Les artistes sont sélectionnés par un jury de professionnels et peuvent séjourner deux fois deux ans, avec un accompagnement de personnes qualifiées. On ne peut pas encore dire qui, parmi eux, acquerra une reconnaissance nationale et internationale, mais ça viendra !

Il manque un événement en art contemporain de retentissement national ; pourquoi ne pas vous adosser à la foire St-Art ?
C’est le message que nous essayons de faire passer aux organisateurs. Mais le problème est que la Ville n’est pas l’opérateur de St-Art. Il faudrait que d’un côté la foire ait une personnalité un peu plus identifiable qu’aujourd’hui, et que de l’autre les divers musées, centres d’art et associations coordonnent leur programmation et communication. N’oublions pas que Bâle est à 150 km, cela rend le contexte délicat.

Vous l’avez dit, la ville s’est longtemps repliée sur elle-même, le rapprochement avec l’Allemagne toute proche est-il maintenant bien engagé ?
Longtemps il y eut finalement assez peu de projets vraiment transversaux. Cela change, et les relations franco-allemandes constituent l’une des priorités du maire actuel. La ville s’étend progressivement vers le Rhin, et le tram ira bientôt jusqu’à Kehl, de l’autre côté. Le quartier qui s’appelle justement « le Port-du-Rhin » est en train d’être complètement remodelé, il va être un lieu de transition vers l’Allemagne. Il existe déjà un jardin transfrontalier sur lequel des artistes sont intervenus. Ce mouvement urbanistique, qui est aussi artistique, vers l’Allemagne est notre grande affaire. L’exposition « Interférences », en cours au Musée d’art moderne et contemporain, le montre bien.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°390 du 26 avril 2013, avec le titre suivant : Daniel Payot : « Une image d’effervescence »

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