Clément Bagot : « Les cartes et plans sont des extensions de la corporalité »

PAROLES D’ARTISTE

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 23 avril 2013 - 684 mots

La galerie Éric Dupont, à Paris, accueille les mondes étranges, à la fois graphiques et architecturaux, de Clément Bagot.

Entre dessins qui prolifèrent et curieuses maquettes architecturées, la galerie Éric Dupont, à Paris, convie à explorer les mondes étranges de Clément Bagot [né en 1972, et récipiendaire du prix Drawing Now en 2012]. Une expérience où l’œil semble devoir se perdre dans un ailleurs sans fin.

Frédéric Bonnet : Votre travail se construit beaucoup sur des jeux d’échelle. Tant vos dessins que vos sculptures et maquettes passent du très petit au très grand. Changer la focale est-il pour vous une nécessité ?
Clément Bagot : C’est un va-et-vient, quelque chose que je fais pratiquement tout le temps dans mon travail. Il s’agit d’un jeu plus que d’une obligation. Je ne faisais à l’origine que du dessin et je pense que cela c’est accentué depuis que j’ai commencé à travailler en trois dimensions. J’ai souhaité développer tout cet univers très dense fait de réseaux, de rhizomes, parfois proliférants. J’ai besoin de pouvoir travailler sur un dessin, de le voir de loin, de près. Ce qui m’intéresse, c’est la façon dont la perspective change en fonction du déplacement ou de l’espace où l’on se trouve, mais c’était plutôt de manière inconsciente au départ, je n’y avais pas pensé au préalable.
Pour les dessins de grand format, je suis immergé dans la surface de papier car je travaille au sol, sans recul, et c’est seulement lorsque je relève la feuille que j’ai une vision d’ensemble. Il y a une part d’inconnu que j’essaye de préserver dans le processus créatif. Je pense que j’ai instinctivement essayé de reproduire la même chose dans la sculpture, c’est-à-dire : comment proposer, pour une œuvre, une lecture de près, à une distance intermédiaire, et de plus loin. Sans chercher pour autant des effets optiques ou de l’ordre de l’anamorphose ou de la transformation, il s’agit plutôt que l’œuvre, qu’elle soit sculpturale ou dessinée, ne se livre pas tout de suite.

Qu’est-ce qui vous a conduit à aller plus tardivement vers la sculpture et le volume ?
Peut-être une impasse ? Il y a une dizaine d’années, j’ai fait beaucoup de très grands formats, des papiers dessinés à l’encre qui sont d’ailleurs très organiques. Et j’ai peut-être eu le sentiment d’être enfermé dans un système ; il fallait que je nourrisse mon travail de dessin à travers une autre pratique, pour voir ce que cela pouvait produire. Il y avait moyen de développer d’un point de vue spatial toute cette complexité, ces réseaux, cette densité, ces imbrications de choses. Il pouvait y avoir un dialogue.

Dans vos dessins, l’œil hésite parfois quant à la nature de ce qu’il regarde, entre géographie ou topographie et expressions de la corporalité. La confusion est-elle volontairement entretenue ?
C’est une chose qui apparaît au fil du travail, cela s’impose, mais de façon très inconsciente et intuitive. Souvent je cherche une dynamique. De nombreuses choses conditionnent le dessin qui sont de l’ordre non de l’esthétique mais de la dynamique, de la circulation d’énergie, du travail des contrastes, des blancs, des noirs, de la saturation, de l’accumulation, des écritures. Évidemment j’ai toujours été fasciné par l’aspect géographique et topographique, les cartes et plans, mais pour moi ce sont des extensions de la corporalité. Le processus de travail est tellement physique et introspectif qu’il y a un moment où l’on cherche à perdre quelque peu le contrôle, à se laisser aller. On a des lignes directrices, des familles d’œuvres, mais on ne sait pas trop où l’on va, et cette espèce de recherche à la fois mentale et physique influe profondément sur le positionnement du corps, l’état d’esprit, la qualité du papier utilisé, la matière, l’atmosphère, l’ambiance, la lumière. Et quand je dessine ces topographies qui sont des espaces infernaux, géographiques, architecturaux, des choses assez complexes, je pense que, sans en avoir conscience, cela renvoie à cet aspect presque corporel. Mais dans l’architecture, vous retrouvez ces complexités, ces organisations, ces distributions, ces circulations. Autour des bâtiments, vous trouvez des ouvertures, des environnements, des contextes. C’est donc un ensemble de choses.

CLÉMENT BAGOT. PARTIR D’UN POINT ET ALLER LE PLUS LOIN POSSIBLE

Jusqu’au 11 mai, Galerie Éric Dupont, 138, rue du Temple, 75003 Paris, tél. 01 44 54 04 14, www.eric-dupont.com, tlj sauf dimanche-lundi 11h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°390 du 26 avril 2013, avec le titre suivant : Clément Bagot : « Les cartes et plans sont des extensions de la corporalité »

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