Musée

Le Rijksmuseum, une si longue attente

Le Rijksmuseum entre dans le XXIe siècle

Après une très longue campagne de travaux, le plus grand musée des Pays-Bas a rouvert ses portes dans une architecture intelligente et astucieuse, et une scénographie avantageuse pour les collections

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 23 avril 2013 - 1554 mots

Dix ans de fermeture dont quatre ans de travaux : l’attente fut longue pour les amoureux du Rijksmuseum à Amsterdam. Édifice aux normes, circuit de visite modifié, œuvres et fresques restaurées, nouvelles infrastructures…, tout a été repensé. Seule La Ronde de nuit de Rembrandt, joyau de la collection, a retrouvé son emplacement d’origine.

AMSTERDAM - Le 13 avril à 11 h 30 précises, la reine Béatrix des Pays-Bas était au rendez-vous sur le Museumsplein d’Amsterdam pour célébrer la réouverture officielle du Rijksmuseum. À deux semaines de la date officielle de son abdication, la monarque n’aurait pour rien au monde pris exemple sur son arrière-grand-père, le roi Guillaume III, qui avait dédaigné l’inauguration officielle du nouveau Rijksmuseum en 1885. « Je ne mettrai jamais les pieds dans ce monastère », avait-il déclaré au sujet du bâtiment conçu par l’architecte catholique du Sud Pierre Cuypers pour abriter les collections royales. Dans un royaume protestant, autant parler d’un faux pas. Aujourd’hui, les querelles de chapelle sont oubliées et le public s’est empressé d’emboiter le pas à la reine pour découvrir, gratuitement et jusqu’à minuit, le nouveau visage du bâtiment de Cuypers dont l’accès lui avait été refusé dix années durant.
Faut-il le rappeler, le Rijksmuseum s’est fait attendre comme la reine du bal. Dès les années 1970, une remise en beauté intégrale était devenue indispensable, mais il fallut attendre 2001 pour qu’un concours international charge l’agence d’architectes sévillane Cruz y Ortiz de la transfiguration du lieu. Cerise sur le gâteau, la découverte d’amiante début 2003 a contraint le musée à fermer ses portes avec quelques mois d’avance. Dès lors la patience fut de mise car, transparence démocratique oblige, toutes les couches de la société amstellodamoise ont été mêlées aux préparatifs. Précisons que la robe de bal a fini par coûter 375 millions d’euros… Entre la lenteur des procédures démocratiques liée à la multiplication des appels d’offres, l’année passée à batailler pour le maintien du passage piéton et de la piste cyclable qui traversent le cœur du bâtiment, les délais se sont allongés, les budgets ont été dépassés (de 15 %) et les travaux n’ont débuté que fin 2008. La découverte sous des couches de peinture blanche de superbes fresques originales, retraçant des épisodes importants de l’histoire du pays, et, conséquemment, leur restauration, apparurent, elles, comme un heureux contretemps.

Continuer avec Cuypers
Le défi des architectes était de taille : redonner au Rijksmuseum son lustre d’antan tout en le projetant vers le XXIe siècle. Dans le cahier des charges figurait également la construction d’un pavillon attenant pour loger les arts asiatiques, ainsi que la création d’un atelier de restauration dernier cri. Pour le directeur des lieux, Wim Pijbes, l’important était que les « maîtres anciens parlent au public d’aujourd’hui ». Antonio Cruz et Antonio Ortiz avaient donc pour mission de respecter l’œuvre d’art total qu’est l’édifice de Cuypers, tout en l’adaptant aux standards des musées contemporains.
L’édifice « sombre, obscur, triste et labyrinthique » décrit par Antonio Ortiz a gagné en clarté, au propre comme au figuré. La suppression de faux plafonds et mezzanines, qui a permis de retrouver la respiration originale des espaces, puis la création d’un vaste atrium pour accueillir les visiteurs, ont redéfini la circulation du lieu. Les architectes ont eu pour tâche de concilier le maintien du fameux passage pour piétons et cyclistes qui traverse le musée avec le rétablissement de l’entrée d’origine dans ledit passage. L’emprunt à I. M. Pei et à sa vision pour le Grand Louvre inauguré il y a vingt ans est ici flagrant. À Paris, les deux cours intérieures de l’aile Richelieu ont été recouvertes puis reliées en sous-sol. Le passage public traversant l’aile nord du musée pour relier la pyramide à la rue de Rivoli était ainsi préservé. L’astuce consista à habiller les larges arcades du passage public avec des baies vitrées, donnant aux passants une vue imprenable sur les sculptures des cours Marly et Puget. À Amsterdam, les deux cours ont été couvertes, creusées jusqu’au sous-sol, habillées de marbre, décorées avec des statues en bronze tandis que les murs de brique entre les arcades le long du passage ont été remplacés… par de larges baies vitrées. Qui du cycliste ou du visiteur attablé au restaurant de l’atrium jouira du meilleur spectacle ?

« Une idée du temps et de la beauté »
Fin 2008, Wim Pijbes, tout nouveau directeur, s’inquiétait dans nos colonnes du vieillissement du projet muséographique (lire le JdA no 296, 23 janv. 2009) : « Le concept établi en 2003 était d’intégrer l’art et l’histoire dans une seule présentation chronologique. À l’époque, personne ne faisait cela, mais, depuis, le Musée du Louvre à Paris et le Boijmans Van Beuningen à Rotterdam s’y sont mis. Nous voulions être à la pointe, les premiers, les meilleurs. » Les équipes de conservateurs avaient pour mot d’ordre de « donner une idée du temps et de la beauté » ; force est de constater que le projet a été respecté tout en conservant son caractère audacieux.
La Ronde de nuit de Rembrandt est la seule œuvre à avoir retrouvé sa place d’origine. Elle trône tel un retable au fond du chœur de la cathédrale imaginée par Cuypers, dont chacune des huit « chapelles » présente une sélection époustouflante de tableaux du siècle d’or hollandais. Cette nef désormais parfaitement éclairée constitue le centre névralgique du musée autour duquel se déploient quelque 8 000 œuvres, déroulant 800 ans d’histoire du pays (de 1100 à 2000), au fil d’un accrochage pluridisciplinaire des plus réjouissants. Les œuvres dialoguent sans effort et permettent aux visiteurs de s’immerger dans une période donnée. Rares sont les tableaux à être protégés derrière une vitre, l’expérience muséale de la texture est ici privilégiée. « La Ronde de nuit n’est pas un poster », défend Pieter Roelofs, conservateur du département XVIIe siècle, ajoutant que cette proximité obéissait à l’esprit du lieu, mais aussi du pays qui met le peuple au premier rang.
Côté scénographie, le musée a fait appel à Jean-Michel Wilmotte, lequel a décliné sa désormais célèbre palette grise dans toutes les salles du musée – Pavillon des arts asiatiques excepté. Encore une fois, la formule fonctionne, les effets de lumière si subtils de La Laitière de Vermeer ne sont plus parasités par les fonds en pierre ou les tentures d’autrefois. Idem pour les vitrines, en verre blanc antireflet : éclairées de l’extérieur, elles s’effacent comme par magie pour permettre une rencontre favorisée avec l’œuvre. Les équipes ont pris un plaisir manifeste à mettre en scène des vitrines (notamment cylindriques) plus étonnantes les unes que les autres, à l’image de ce tourbillon d’une vingtaine de pistolets en ivoire à la mode à Maastricht dans la seconde moitié du XVIIe. Exposer ce savoir-faire dans les salles réservées aux « collections spéciales » est d’autant plus pertinent. Qu’il s’agisse de la porcelaine de Delft, des maquettes de bateaux ou encore des centaines de plaques de verre peintes pour les lanternes magiques, la présentation pléthorique des objets échappe à l’ennui et à la confusion grâce à un usage savant de la symétrie et de la composition. Enfin, les cartels sont discrets et le numérique est réduit au minimum – inutile de courir après la technologie, « avec leurs smartphones, les visiteurs ont leurs propres outils », explique Wim Pijbes.

Du Moyen Âge à Mondrian
Si le Rijksmuseum peut se targuer de posséder au moins un tableau de chacun des peintres hollandais répertoriés au XVIIe siècle, il s’efforce d’attirer l’attention sur le reste de ses collections, « du Moyen Âge à Mondrian ». Sauf que les deux tableaux de Mondrian présentés dans les salles XXe siècle ont été prêtés pour une durée de six mois, le premier par le Museum of Modern Art (MoMA) de New York, l’autre par le Minneapolis Institute of Art…. Ce dernier appartenait à Til Brugman (1888-1958), poète et collectionneuse hollandaise qui était une grande amie du peintre. Pourquoi de tels emprunts ? Pour accompagner l’unique exemplaire original en blanc de la Chaise rouge et bleue de Gerrit Rietveld, commandée par Brugman pour se fondre dans le décor noir et blanc de son salon de musique. Cet achat qui date de 2010 témoigne de la politique d’acquisition très pointue du musée, privilégiant la rareté à tout prix, et qui n’a pas cessé durant la fermeture. Ces dépôts sont aussi une manière habile de faire oublier l’indigence de ce département créé dans les années 1990, et qui souffre des prix prohibitifs du marché.
Pendant un an, le Rijksmuseum jouira d’un statut très envié parmi les plus grands musées généralistes de la planète : les quelque 2 millions de visiteurs espérés qui se presseront chaque jour au musée y découvriront… ses collections permanentes. La Philips Wing, dans laquelle les joyaux des collections avaient été présentés pendant les travaux, est à son tour en cours de rénovation sous la supervision du duo Cruz et Ortiz. C’est là que seront présentées dès 2014 les grandes expositions temporaires qui devraient drainer les fidèles du musée, une fois passé la lune de miel de la redécouverte.

Rijksmuseum

Cabinet d’architecture : Cruz y Ortiz Arquitectos, Séville
Aménagement des salles : Wilmotte & associés SA, Paris
Budget : 375 millions d’€
Financement : ministère de l’Éducation, de la Culture et des Sciences ; le Rijksmuseum et Philips
Principaux mécènes : BankGiro Loterij, ING et KPN

Rijksmuseum, Museumstraat 1, Amsterdam, tél. 31 20 6621 440, www.rijksmuseum.nl, tlj 9h-17h.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°390 du 26 avril 2013, avec le titre suivant : Le Rijksmuseum entre dans le XXIe siècle

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