Céramique

Ettore Sottsass, maître du feu

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 10 avril 2013 - 779 mots

La Cité de la céramique présente deux ensembles, l’un en porcelaine, l’autre en verre, réalisés par le designer italien avec les maîtres artisans de la Manufacture de Sèvres et du Cirva à Marseille.

SÉVRES - Les éléments ont toujours fasciné Ettore Sottsass (1917-2007), en particulier le feu. Le grand designer transalpin avait d’ailleurs pris goût à l’élaboration de pièces in situ avec les maîtres artisans. « Un architecte dans l’atelier » montre ce travail et il est fabuleux. Quoique l’homme ait déjà eu quelques expériences du genre, en Italie, l’exposition présentée à la Cité de la céramique, à Sèvres (Hauts-de-Seine), se concentre sur les recherches qu’il a effectuées avec deux institutions françaises dédiées aux arts du feu : d’un côté, la Manufacture de Sèvres, à partir de 1993, pour la porcelaine ; de l’autre, le Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques (Cirva), à Marseille, à partir de 1998, pour le verre. Pendant près d’une quinzaine d’années, céramistes et verriers ont ainsi mis leurs savoir-faire à son service. Les deux ensembles, porcelaine et verre, sont ici pour la première fois réunis. La scénographie est signée par le designer italien Michele De Lucchi, ex-membre du fameux groupe Memphis, jadis fondé par… Sottsass. Elle consiste en de hauts rideaux blancs qui distinguent les pièces selon le matériau dont elles sont faites. N’était-ce leur aspect par trop « plastique », un brin déplaisant, lesdits rideaux dessinent les diverses sections de manière sobre et efficace. Avantage : l’absence de vitrine. Les œuvres sont, en outre, juchées sur de hauts socles, à hauteur d’yeux, ce qui rend la visite on ne peut plus agréable.

La présentation se déploie en trois temps. D’un côté la porcelaine, de l’autre le verre ; une troisième partie comprend des pièces associant diverses matières de manière étonnante, voire non orthodoxe. Le visiteur découvre d’abord une série de quatorze vases décorés aux nuances subtiles, dont les volumes géométriques se superposent tel un jeu de construction. Ettore Sottsass conçoit l’empilement de gabarits différents comme on enfilerait des (grosses) perles. Parfois, l’objet pourrait paraître droit dans ses bottes, mais le designer incline à dessein un dernier élément, afin de rompre visuellement l’équilibre. Il use aussi avec parcimonie d’une couleur souvent réputée trop précieuse : l’or. Le facétieux Sottsass se fait littéralement fellinien lorsqu’il baptise lesdites créations de prénoms féminins : Juliette, Esmeralda, Justine, Sybilla, Lolita, Emma… Certains vases sont souverains, autant dans leur patronyme, tels Joséphine, Cléopâtre ou Tseui, dernière impératrice de Chine, que dans leur esthétique. Ainsi en est-il de Rababah (cantanti del Nilo), vase coupe d’une prestance inouïe. Non loin, l’élancé et maigre Jogî (incantatore di serpenti) arbore, lui, une étrange et mince excroissance jaune vif, maintenue à l’aide d’une corde.

De l’Orient aux poupées Kachinas
Sottsass fait montre d’une incroyable liberté dans l’association des matériaux, des formes et des proportions. Il en va de même avec ses pièces en verre. Les deux séries de vases et de coupes aux références orientalistes, « Lingam » et « Xiangzheng », sont admirables. Les œuvres « Xiangzheng », notamment, sont d’étonnants assemblages de « tubes » savamment insérés les uns dans les autres. À l’instar du vase Jogî, elles se composent d’un corps central, orné de pendeloques. Les attaches sont faites de simple fil de fer et les couleurs apparaissent souvent chatoyantes. Les pièces s’amusent à l’envi des contrastes entre transparence et opacité. Car l’humour est bien évidemment présent, en particulier avec cette suite intitulée « Kachinas ». Dans une salle contigüe à l’exposition, on peut d’ailleurs voir quelques-uns des dessins de Sottsass qui ont présidé à l’élaboration de ces pièces. Celles-ci lui ont été inspirées du culte des poupées Kachinas des Indiens Hopis, aux États-Unis. Ces créations en verre soufflé sont imposantes et raffinées à la fois. On imagine le souffleur de verre en train de manier l’imposante « forme » incandescente au bout de sa canne. Les couleurs sont joyeuses et nombre de pièces, amusantes, d’autant que s’y devine, parfois, quelque silhouette anthropomorphe.

Le dernier volet de l’exposition est consacré à une série de pièces dans lesquelles le designer italien mélange la porcelaine à un autre matériau : le marbre, l’inox, le sycomore, la lave aussi. À nouveau Sottsass y déploie une inventivité et une audace à nulle autre pareille. Chapeau, Maestro !

Ettore Sottsass, un architecte dans l’atelier

Commissaire de l’exposition : Isabelle Reiher, directrice du Cirva, à Marseille
Scénographie : Michele De Lucchi, designer, assisté de Philippe Nigro et de Mercedes Jaén Ruiz
Nombre de pièces : 70

Jusqu’au 22 juillet, Cité de la céramique, 2, place de la Manufacture, 92310 Sèvres, tél. 01 46 29 38 38, tlj sauf mardi et le 1er mai, 10h-17h.

À lire

Ettore Sottsass, Sèvres, les temps d’un voyage (2006) et Ettore Sottsass au Cirva, un architecte dans l’atelier (2013), éditions Bernard Chauveau pour les deux ouvrages, prix 11,40 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°389 du 12 avril 2013, avec le titre suivant : Ettore Sottsass, maître du feu

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