Paroles d’artiste

Gloria Friedmann : « La peinture était une terre inconnue »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 9 avril 2013 - 745 mots

La Fondation Maeght, à Saint-Paul, présente les premières et récentes peintures de Gloria Friedmann, autour d’une réflexion sur la nature.

À la Fondation Maeght, à Saint-Paul de Vence (Alpes-Maritimes), Gloria Friedmann propose un parcours où se lisent ses préoccupations relatives à l’humanité et son dialogue avec l’environnement, naturel ou animal.

Frédéric Bonnet : Cette exposition regroupe un grand nombre d’œuvres de diverses époques. L’avez-vous pensée comme un exercice rétrospectif ? 
Gloria Friedmann : Non, j’étais surtout occupée à faire de nouvelles œuvres, notamment plusieurs séries de tableaux, dont certains sont réalisés au fusain (No Men’s Land, 2012-2013) ou avec de la terre (2 Mondes à la fois, 2012-2013). J’ai par la suite ajouté à ce corpus récent quelques travaux anciens qui permettaient des confrontations montrant des préoccupations communes. J’aurais de toute façon été incapable de produire autant d’œuvres nouvelles pour un si grand espace, c’est impossible…

F.B.
: Qu’est-ce qui vous a conduit à vous mettre récemment à la peinture ?
G.F. : La peinture était quelque chose que je ne savais pas faire. J’ai souvent entamé de nouvelles pratiques lorsque je pensais en être incapable. Et si j’ai peur de quelque chose, souvent je me lance, précisément parce que c’est une terre qui m’est inconnue. Procéder ainsi est important pour moi, c’est une sorte d’aventure. Mais évidemment je le fais à partir de mes préoccupations. Il s’agit donc d’une expérience, c’est aussi simple que cela.

F.B. : Vous affichez des préoccupations qui s’imbriquent et ont trait à l’évolution, à l’histoire, à la politique, au monde d’aujourd’hui. Y a-t-il dans ce parcours une volonté de dresser un état du monde ?
G.F. : Selon moi, faire une exposition n’est pas vraiment penser un parcours, mais plutôt une proposition où une chose donne un sens à une autre, et j’espère que, lorsque le public en sort, il engage en effet une réflexion sur son état dans le monde. Je ne suis pas une artiste « à message », qui donne des leçons, tient des propos sur la morale ou indique la voie à suivre, mais en revanche j’espère inciter à y penser. J’ai toujours essayé d’aller dans ce sens-là dans mes expositions.

F.B. : Nombre de vos œuvres semblent appeler à la vigilance et titiller un sens critique. S’agit-il pour vous d’une question fondamentale ?
G.F. : Oui, car je pense que même dans un état démocratique il faut toujours rester vigilant, la voie n’est jamais définitivement tracée. Être citoyen, c’est être informé, savoir ce qui se passe et pouvoir réagir. Je trouve que les gens qui se fichent de tout, disent que la politique ne les intéresse pas, qu’ils n’y comprennent rien, etc., c’est très dangereux. Mes parents viennent de l’étranger : ma mère est anglaise, mon père est né en Chine, ils sont arrivés en Allemagne après la guerre, où je suis née. Et j’ai toujours eu quelque part à l’esprit cette notion de « il faut faire attention ».

F.B. : Vos récentes peintures au fusain (No Men’s Land) abordent une certaine idée de l’environnement et du cosmos ; vous utilisez également beaucoup la terre dans des peintures et sculptures, vous avez aussi fait des tableaux renfermant des plumes de corbeaux (Nocturne, 1989) ou des branches d’épicéa (Vert boisé, 1989). Revendiquez-vous une dimension écologique dans votre travail ?
G.F. : J’aime la nature. Lorsque j’ai commencé à faire de l’art, la question s’est posée en effet : « je parle de quoi ? ». J’ai donc décidé de parler de ce à quoi je me sens liée et j’ai commencé par cela. Au début des années 1980, cela n’existait pas encore vraiment. On trouvait encore la productivité généralisée formidable, mais cela a changé. Alors forcément, puisque je m’intéresse à ce qui se passe dans une société, j’évoque aussi ce changement. La production et la surconsommation sont tellement colossales qu’il faut y réfléchir et définir sa propre position. Il est intéressant de voir que, lorsqu’il y a un grand danger, l’industrie réagit car elle est forcée de le faire. Ce n’est pas pour rien que l’on commence à conduire des voitures électriques. Le capitalisme veut continuer à vendre et doit donc réagir. Je ne suis pas une militante engagée ni une écolo radicale. J’ai un ordinateur, je prends l’avion si besoin, mais il faut réfléchir.

GLORIA FRIEDMANN. PLAY-BACK D’EDEN

Jusqu’au 16 juin, Fondation Marguerite et Aimé Maeght, 623, chemin des Gardettes, 06570 Saint-Paul de Vence, tél. 04 93 32 81 63, www.fondation-maeght.com, tlj 10h-18h. Catalogue, éd. Fondation Maeght, 136 p., 38 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°389 du 12 avril 2013, avec le titre suivant : Gloria Friedmann : « La peinture était une terre inconnue »

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