École d'art

La chronique d'Emmanuel Fessy

L’école d’art n’est pas soluble dans le marché

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 27 mars 2013 - 489 mots

Pour un jeune diplômé, la sortie d’une école d’art peut être un choc, surtout s’il s’est destiné à être un artiste (le cas d’un étudiant sur dix, lire le JdA n° 366).

Après cinq années vécues dans une quasi-communauté, accompagné par des enseignants, peut-être parfois trop « cocooné », il se retrouve seul face au monde, face à une création qu’il veut et doit faire connaître. Son destin est différent de celui d’un étudiant d’une école d’ingénieur ou de commerce qui intégrera un cadre bien normé. Les écoles d’art doivent donc aider leurs étudiants à franchir cette rupture mais, sous peine de perdre leur spécificité, ne peuvent s’assigner des objectifs qui auraient pour modèles ceux d’HEC, Sciences Po ou « l’X ».

« Les jeunes artistes français ne sont pas formés à intégrer le marché », déplorent ceux qui, souvent, sortent de ces dernières écoles et ne perçoivent pas cette différence d’identité et méconnaissent l’évolution opérée par les écoles d’art depuis un temps où l’argent pouvait être le diable. Vouloir devenir artiste c’est d’abord pouvoir assumer un choix très singulier. Le marché ne peut devenir l’objectif d’une école d’art qui doit former des étudiants devenant autonomes, capables précisément de transformer, de bousculer un marché qui deviendrait morne à force de répétitions épousant l’air du temps.

L’école est un outil, le marché un stimulus. Elle doit permettre à l’étudiant d’en connaître ses acteurs comme ceux des institutions ou de la critique d’art. Dans ce but, les écoles font appel à des professionnels du monde l’art comme enseignants réguliers (en premier lieu des artistes) ou conférenciers et comme membres de jurys de diplômes. Elles ont intégré dans leurs cursus la pratique d’un stage professionnel, souvent à l’étranger, et nouent des partenariats avec le privé. À la mesure de leurs moyens, elles exposent leurs diplômés en France et à l’étranger en plus des « portes ouvertes » où les professionnels viennent voir les travaux présentés. Certaines dispensent des cours de droit et d’économie, mais le futur artiste en mesure à ce moment-là plus une perte de temps qu’utilité… Comme aussi devenu ancien élève, il reste individualiste et n’anime pas une puissante association d’alumni. Les trajectoires sont différentes et le resteront. Lui, doit convaincre un marchand qui saura exercer son métier en l’aidant à construire cette trajectoire en trouvant les collectionneurs et critiques « importants », en sollicitant les institutions publiques pour des expositions et des acquisitions, en nouant des accords avec des galeries étrangères pour favoriser une diffusion internationale, et à qui le jeune artiste serait capable de résister éventuellement.

L’an prochain, pour obtenir le renouvellement de leur diplôme au grade de master, les écoles seront soumises à un Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur qui les questionnera à nouveau sur leur capacité à favoriser « l’insertion professionnelle ». Quel langage depuis les années 1970 ! L’eau du bain a été changée, ne jetons pas le bébé.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°388 du 29 mars 2013, avec le titre suivant : L’école d’art n’est pas soluble dans le marché

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