Photo/vidéo

La réalité selon Paci

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 26 mars 2013 - 804 mots

Les vies en transit d’Adrian Paci font escale au Jeu de paume qui met ainsi en lumière les deux préoccupations de l’artiste albanais : les flux et les rites humains.

PARIS - À l’entrée de l’exposition qui lui est dédiée au Jeu de paume, à Paris, Adrian Paci souhaite lui-même la bienvenue. Pas à tous les visiteurs certes, mais à une multitude de personnes – plusieurs centaines – défilant devant lui. L’action du film The Encounter (2011) prend place sur la grande place d’un village sicilien, sur le vaste parvis d’une imposante église où l’artiste assis sur une chaise semble perdu dans ce décor grandiose évoquant une scène de théâtre, avant que ne se mette en branle une procession ininterrompue, où pendant une vingtaine de minutes, il va saluer en leur serrant la main les habitants des lieux.
L’entrée en matière de ce parcours est particulièrement bien vue. L’exposition déployée en une vingtaine d’œuvres – des films pour l’essentiel, mais aussi quelques photographies ou peintures – est  un beau panorama de l’ensemble du travail de l’artiste albanais installé en Italie, qui touche à deux de ses préoccupations récurrentes : les flux humains et la permanence du rituel dans les modes de vie contemporains devenus mondialisés mais où persistent des résistances à l’unification.

Quatre vidéos sur l’ambiguïté des rites
Dans une remarquable salle où cohabitent pas moins de quatre œuvres vidéos qui pourtant ne se parasitent pas, se font face deux pièces posant finement les contradictions relatives à l’idée même de l’entretien du rituel aujourd’hui. D’un côté, The Last Gestures (2009) voit se déployer plusieurs écrans suspendus sur lesquels des images à l’esthétique surannée et tournant au ralenti montrent les préparatifs d’un mariage dans la famille de la mariée. Là, plus que du bonheur semble percer une indicible tristesse – le mariage que l’on retrouve ailleurs, dans une série de petites gouaches comme fanées, où l’acte magnifié semble ne pas résister au passage du temps et à la disparition progressive des souvenirs (The Wedding, 2001). Lui fait face Vajtojca (2002), court film dans lequel l’artiste lui-même, revêtu du costume du défunt, a engagé une pleureuse albanaise pour lui réciter un chant funèbre au terme duquel il se relève et s’en va. Dans l’une comme dans l’autre œuvre, les images sont saisissantes et appuient sur les tiraillements entre le nécessaire besoin d’entretenir des racines et un travail de mémoire, et l’appel à un autre mode de vie, particulièrement chez qui a connu l’exil ; avec pour conséquence une remise en cause parfois délicate ou douloureuse des modèles socio-économiques régissant l’activité humaine dans certaines régions du monde. À ce propos, des œuvres mettant en exergue des situations incertaines interpellent, comme dans ni (2004), photographie portraiturant des hommes lassés par l’attente d’un hypothétique emploi, mais nimbés de la lumière d’une grosse ampoule électrique que chacun tient en main et qui semble transposer la situation dans un autre champ. Ou encore Electric Blue (2010), curieux film qui suit les tribulations d’un père de famille albanais qui duplique des cassettes de films X avec l’espoir d’installer dans un hôtel abandonné le premier cinéma porno dans sa ville, mais qui, parce que son fils les regarde, cesse cette activité et enregistre par-dessus maladroitement des reportages sur la guerre au Kosovo… d’où surgissent parfois d’anciennes images !

La fiction pour mieux pointer la réalité
Chez Adrian Paci, l’histoire, collective autant qu’individuelle s’exprime par bribes, laissant apparaître des interstices, des ouvertures pour chacun qui, par la grâce du témoignage ou de l’expérience personnelle, deviennent autant d’extensions du réel à travers la métaphore ; particulièrement lorsque touchant au caractère transitoire de certaines situations. Son film sans doute le plus connu est à cet égard essentiel : sur le tarmac d’un aéroport, la passerelle d’accès à un avion s’emplit d’hommes et de femmes qui semblent attendre d’embarquer, avant que l’élargissement du champ de l’image ne révèle l’absence d’appareil nécessaire à l’évasion (Centre de détention provisoire, 2007). Tout aussi captivante est sa dernière production, The Column (2013), qui voit sur un tanker des ouvriers asiatiques confectionner pendant le seul temps du transport une « fausse », mais parfaite, colonne romaine à partir d’un bloc de marbre brut. Au-delà du questionnement de la productivité elle-même dont le temps se confond avec celui de la livraison, Paci pointe une fois encore ces situations de transit à la nature incertaine, où l’expression métaphorique semble finalement relever d’un défi permanent à la réalité.

Adrian Paci

Commissariat : Marta Gili, directrice du Jeu de paume et Marie Fraser, conservatrice en chef du Musée d’art contemporain de Montréal
Nombre d’œuvres : 20

ADRIAN PACI. VIES EN TRANSIT

Jusqu’au 12 mai, Jeu de paume, 1, place de la Concorde, 75008 Paris, tél. 01 47 03 12 50, www.jeudepaume.org, tlj sauf lundi 11h-19h, mardi 11h-21h. Catalogue, coéd. Mousse Publishing/Jeu de paume/Musée d’art contemporain de Montréal, 184 p., 35 €

Légende photo

Adrian Paci, The Encounter (La Rencontre), 2011, vidéo couleur, son, 22 min. © Adrian Paci, courtesy Galerie Peter Kilchmann, Zurich et Kaufmann Repetto, Milan.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°388 du 29 mars 2013, avec le titre suivant : La réalité selon Paci

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