Art contemporain

Paroles d’artiste

Saâdane Afif : « Donner du sens sans expliquer »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 26 mars 2013 - 752 mots

Coutumier d’une formulation visuelle et plastique en lien avec la musicalité, Saâdane Afif revisite, à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne, une série d’expositions ayant pour point commun une même chanson.

Frédéric Bonnet : L’exposition prend sa source avec une chanson intitulée Blue Time, écrite par Lily Reynaud-Dewar en 2004. Pourquoi être parti d’un texte ayant lui-même donné naissance à d’autres travaux ?
Saâdane Afif : Blue Time est l’un des tout premiers textes ayant été écrit sur mon travail avec une idée d’interroger le regard et l’interprétation de l’autre à travers une commande bien précise, en l’occurrence le texte d’une chanson arrivant en même temps qu’une œuvre exposée. La première fois que j’ai fait cette expérience sans savoir que j’allais ensuite explorer ce processus de manière beaucoup plus développée, c’était pour une petite exposition à Essen, au Folkwang Museum (« Melancholic Beat », 2004), dans laquelle j’avais réuni quatre œuvres car je n’avais pas de budget de production. J’étais un peu frustré et ai voulu faire une expérience ; j’ai donc demandé à Lily Reynaud-Dewar d’écrire quatre textes. Ces écrits, qui à l’origine étaient pensés pour essayer de produire un commentaire différent de mon travail, en sont finalement devenus un matériau à part entière. Ils ont gagné une autonomie, ont leur propre poésie et me permettent de produire des mutations de ma pratique. C’est-à-dire que l’ADN de mon travail lié à cet ADN et à l’imaginaire de l’autre ont engendré des œuvres, des propositions qui ont commencé à se transformer grâce à cette rencontre. Je les ai donc utilisés à de nombreuses occasions pour des projets assez divers qui ont permis d’enrichir ma pratique et mon travail.

F.B. : Ce texte est répété dans toutes les salles du parcours où sont reprises à l’identique certaines de vos expositions passées. Tout tient donc ici dans le collage et la répétition ?
S.A. : Au début ma réflexion a été de sélectionner un certain nombre d’expositions, de les mettre ensemble et de les réactiver entièrement ; donc de ne pas jouer à partir d’objets, mais plutôt d’expositions dans leur ensemble, parfois reproduites à l’identique. Cela a pris des proportions assez énormes, car l’espace ici est grand, mais pas non plus gigantesque. En cherchant à coller ces choses ensemble, tout en me demandant pourquoi et quel sens ou non sens cela créait d’avoir ces moments très différents, j’ai commencé à regarder d’un peu plus près ces textes utilisés et réutilisés, et je me suis aperçu que Blue Time apparaissait souvent dans différents projets. J’ai donc décidé de faire une exposition-enquête ; une enquête sur un texte qui est un peu comme l’âme de l’ensemble de l’œuvre – en considérant que l’ensemble de l’œuvre est une sorte de passage d’une chose à l’autre, d’une répétition à l’autre, d’une transformation à l’autre, etc. – à suivre depuis son écriture jusqu’à maintenant, puisqu’on le réactualise aujourd’hui. Cette investigation m’a inspiré une exposition curieuse faisant le tour d’une diversité de pratiques qui semble être révélatrice de ce que représente mon travail. Ce qui n’est pas forcément visible face à un seul projet, mais se perçoit dans une sorte d’accumulation. Cette enquête se fait tout en jouant aussi sur le sens des choses, avec un texte qui raconte avec une forme d’autodérision l’histoire d’un « loser » qui n’a jamais perdu son idéal.

F.B. : Il y a souvent dans vos œuvres une sorte de résistance à la lecture. Considérez-vous qu’ouvrir le regard et la manière de s’approprier l’exposition revient à ne pas la contraindre ?
S.A. : C’est pour moi une chose évidente : ces objets tournent souvent autour d’une idée très simple, une idée qui peut faire sens mais peut avoir cette poésie pour faire sens, sans que cela n’ait besoin d’être renommé, en tout cas pas de façon explicative. D’où l’utilisation de la forme de la chanson pour créer une forme poétique par une forme poétique démultipliant le sens, parce que les formes poétiques vont elles-mêmes en générer d’autres. C’est donc là où commence à se créer un certain brouillage, j’aimerais dire des abstractions. Mais ce brouillage lui aussi donne une forme d’après moi assez précise de la multiplicité, de l’ensemble du sens que peut avoir l’œuvre sans l’expliquer, c’est ça qui m’intéresse. Il n’y a pas d’explication satisfaisante à ce qu’est une œuvre d’art.

SAÂDANE AFIF. BLUE TIME, BLUE TIME, BLUE TIME…

Jusqu’au 28 avril, Institut d’art contemporain, 11, rue du Docteur Dolard, 69100 Villeurbanne, tél. 04 78 03 47 00, www.i-ac.eu, tlj sauf lundi-mardi 13h-19h

Légende photo

Saâdane Afif, The Sun Burst, 2013, vue de l’exposition Saâdane Afif, Blue Time, Blue Time, Blue Time..., Institut d’art contemporain, Villeurbanne © Photo : Blaise Adilon

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°388 du 29 mars 2013, avec le titre suivant : Saâdane Afif : « Donner du sens sans expliquer »

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