Parcours

L’expérience Chagall

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 26 mars 2013 - 846 mots

Dernière exposition du conservateur et critique d’art Jean-Michel Foray, décédé en 2012, le parcours du Musée du Luxembourg veut montrer la permanence de l’identité de Chagall.

PARIS - « L’art me semble être surtout un état d’âme », expliquait Marc Chagall (1887-1985) dans Ma Vie. Cette phrase pourrait tenir lieu de préambule à l’exposition que le Musée du Luxembourg consacre à l’artiste. Une énième rétrospective ? « Il ne s’agit pas d’une rétrospective, mais de montrer comment un artiste a traversé le XXe siècle en conservant son identité la plus profonde. La dimension narrative, autobiographique et symbolique est très forte chez Chagall. Il a toujours eu cette vie intérieure imaginaire qui ne se retrouvait pas dans les recherches théoriques de la pensée moderniste », explique Julia Garimorth-Foray, qui a mené à terme le projet conçu et initié par Jean-Michel Foray, son mari, disparu l’été dernier. Ancien directeur du Musée national Marc Chagall, à Nice, il était le commissaire de la grande rétrospective parisienne de l’œuvre de l’artiste que le Grand Palais avait organisée en 2003. Pour cette nouvelle manifestation, peut-être la plus personnelle, il avait fait la synthèse de ses nombreux travaux sur l’artiste. Le parcours s’organise selon quatre parties correspondant aux grandes périodes de la carrière de Chagall : les années russes entre 1914 et 1922, l’entre-deux-guerres à Paris, puis l’exil aux États-Unis et, enfin, le retour en France en 1948. Des entrées thématiques soulignent le caractère circulaire de sa production plastique pour laquelle il revisite constamment ses thèmes de prédilection. La démonstration s’appuie sur ses peintures, mais aussi ses dessins, tel Les Temps changent-ils ? (1920) – clin d’œil au suprématisme –, des gravures et leurs travaux préparatoires comme les gouaches illustrant la Bible prêtés par le Musée national Marc Chagall de Nice (l’institution fête, cette année, son quarantième anniversaire, lire l’encadré). Des œuvres rarement montrées sont ici réunies, à l’instar du tableau Le Vieillard et le chevreau (1930) prêté par le Moderna Museet de Stockholm, expression de sa solitude et de l’incompréhension de l’artiste face à ce qui se passe en Allemagne, ou de L’homme-coq au-dessus de Vitebsk (1925). On pourrait citer aussi La Madone au traîneau (1947) qui sort très peu du Stedelijk Museum, à Amsterdam, l’inattendu Dans la nuit qui vient (1943) du Philadelphia Museum of Art, un couple de jeunes mariés dans un paysage nocturne enneigé. De nombreux prêts sont issus de collections privées. Ainsi du tableau d’ouverture, un autoportrait de 1914, du Paysage fait à Cranberry Lake (1944) ou de la mélancolique Nuit verte peinte en 1952, où il met en scène dans sa ville natale Vitebsk, Bella, sa femme, décédée huit ans plus tôt.

Une palette d’émotions et autant de sens
Pour évoquer les années d’exil, une salle centrale réunit les « Crucifixions » autour du triptyque Révolution conservé au Centre Pompidou. Dans ces grands formats, Chagall associe les symboles des religions juive et chrétienne pour évoquer la souffrance universelle, en particulier celle du peuple juif. Riches en éléments symboliques, fortement marquées par la spiritualité hassidique, les œuvres de Chagall ne correspondent pas à une description littérale d’un événement ; elles se situent dans l’ambivalence. « L’œuvre de Chagall n’est pas noir ou blanc, mais se trouve justement dans toute la gamme de couleur entre les deux. Il y a toujours diverses interprétations », insiste Julia Garimorth-Foray. Le retour en France marque un nouveau cap dans la production de Chagall. La couleur devient autonome et déborde de l’objet. Le peintre se lance dans le vitrail, la mosaïque, la tapisserie, et s’intéresse au rapport de l’œuvre avec l’architecture. Les esquisses réalisées pour La Vie (1964) – immense tableau conservé à la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence –, sont un véritable condensé de cet œuvre qui, comme l’expliquait Jean-Michel Foray « réclame, pour être pleinement apprécié, qu’on fasse son expérience (l’expérience de sa couleur, de sa complexité narrative), au rebours du mouvement dominant de l’art de son temps ». Une expérience à laquelle, avec subtilité, le Musée du Luxembourg convie aujourd’hui ses visiteurs.

Chagall intime à Nice

Inauguré à Nice en 1973 en présence de l’artiste, le Musée national Marc Chagall fête ses quarante ans avec une programmation spéciale. En écho au Musée du Luxembourg et avant la grande exposition organisée cet été avec la Réunion des Musées nationaux Grand Palais, l’institution niçoise s’immisce dans l’intimité créative de l’artiste à travers la sélection d’une soixantaine de dessins, gouaches et collages, datant de la Première Guerre mondiale aux années 1950.

« Marc Chagall, d’une guerre à l’autre », Musée national Marc Chagall, avenue du Docteur Ménard, 06000 Nice, tél. 04 93 53 87 20, www.museechagall.fr. Jusqu’au 20 mai.

Chagall, entre guerre et paix

Jusqu'au 21 juillet 2013, Musée du Luxembourg, 19, rue de Vaugirard, 75006 Paris, tél. 01 40 13 62 00, www.museeduluxembourg.fr, tlj 10h-19h30, nocturnes le lundi et vendredi jusqu’à 22h. Catalogue, édition Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 176 p., 35 €

Chagall

Nombre d’œuvres : 105
Commissaires : Jean-Michel Foray (1942-2012), conservateur général honoraire du patrimoine, et Julia Garimorth-Foray, conservateur au Musée d’art moderne de la Ville de Paris
Scénographie : Nathalie Crinière, agence NC

Légende photo

Marc Chagall, La Madone au traîneau, 1947, huile sur toile, 97 x 79,5 cm, Stedelijk Museum, Amsterdam. © Collection Stedelijk Museum, Amsterdam. Succession Chagall.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°388 du 29 mars 2013, avec le titre suivant : L’expérience Chagall

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