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Les trésors de Monet

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 13 mars 2013 - 708 mots

Composée de quelque 700 ouvrages, la bibliothèque de Claude Monet à Giverny est riche d’enseignement pour les chercheuses qui en ont dressé l’inventaire.

Un coup d’œil sur la liste des auteurs d’ouvrages scientifiques publiés sur l’impressionnisme depuis plus de soixante ans suffit à se convaincre que le sujet a plus passionné les historiens de l’art anglo-saxons que les autres. Si l’impressionnisme est devenu le parent pauvre de la recherche en France, deux événements récents ont semble-t-il réveillé les consciences : la magistrale rétrospective « Claude Monet » de 2010, aux Galeries nationales du Grand Palais, à Paris, et, dans une perspective différente, la première édition du festival « Normandie impressionniste » qui s’est tenue la même année. Grande fête populaire, cette manifestation à l’échelle régionale a eu le mérite d’engendrer des projets exigeants sur le plan scientifique, dont le présent ouvrage constitue une preuve tangible.
Claire Maingon et Félicie de Maupeou, respectivement maître de conférences et doctorante en histoire de l’art à l’université de Rouen, se sont donné pour défi de dresser l’inventaire de la bibliothèque du second atelier de Claude Monet à Giverny (Eure). Source documentaire élémentaire et pourtant oubliée, cette bibliothèque riche de quelque sept cents titres faisait partie intégrante du legs du fils de l’artiste Michel Monet à l’Institut de France en 1966. Codirectrice de la thèse de Félicie de Maupeou sur la mise en scène des Nymphéas de Monet à l’Orangerie, Ségolène Le Men a veillé à la bonne conduite des recherches.

Textes illustrés
Si l’intégrité de cette bibliothèque n’a pas survécu aux aléas de la vie de famille qui a perduré dans la maison quarante ans après la mort du peintre, l’ensemble reste riche d’enseignement. Les chercheuses ont abordé leur tâche en deux temps, l’un technique, l’autre analytique. Dans une première phase fut établi un inventaire alphabétique, des plus classiques, suivi d’une répartition des ouvrages selon leur format, leurs auteurs, leur date et leur contenu. Les chercheuses se sont ensuite plongées dans la lecture, afin d’en extraire quelques morceaux choisis. Claude Monet étant connu pour avoir refusé de coucher sur le papier ses théories personnelles sur l’art, l’exercice consiste ici à retrouver la trace du peintre entre les lignes. Dans son introduction, Ségolène Le Men va jusqu’à dire que la richesse et l’ampleur des textes « prouvent bel et bien que Monet mérite de prendre place parmi les intellectuels de son époque, et qu’il a été étroitement mêlé aux milieux artistiques et littéraires contemporains ». Dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es.

Ouvrages d’horticulture, livres d’histoire de l’art, guides de musée, carnets de voyage, romans de littérature, poésie, textes sur l’actualité politique… Vu à travers le prisme de ses passions, le visage de Monet se dessine en filigrane. Le jeu est d’autant plus séduisant que chaque texte, classé selon cinq grands thèmes (« Monet peint par ses livres » ; « Esthétique et littérature artistique » ; « Le musée imaginaire » : « Livres et catalogues » ; « Lettres françaises et étrangères » ; « Une bibliothèque d’actualité ») fait face à un tableau du maître, une photographie d’époque, ou encore une œuvre de l’un de ses contemporains. Citons par exemple le délectable texte de Léon Werth extrait de Voyages avec ma pipe. Bretagne et campagne, Paris, banlieue, province, Belgique et Hollande, Europe et Amérique (Paris, G. Crès & Cie, 1920). Face aux falaises rougeoyantes de Port-Dormois à Belle-Isle (1886), ce bijou de style décrit à merveille le rapport de l’individu à la puissance et à la sensualité de la mer. Au plaisir synesthésique de voir correspondre ces écrits aux illustrations s’ajoute celui de découvrir des textes méconnus comme de relire des correspondances entre artistes.

La plupart des ouvrages datant de la fin des années 1870 aux années 1920, soit la cinquantaine d’années durant lesquelles Monet réside à Giverny, la sélection fait aussi le portrait d’une époque. Imaginez enfin le bonheur que fut pour les chercheuses de trouver, en feuilletant le Guide Joanne que le peintre avait emporté lors d’un de ses voyages à Londres, une fleur séchée, glissée entre deux pages…

CLAIRE MAINGON ET FÉLICIE DE MAUPEOU (SOUS LA DIRECTION DE SéGOLÈNE LE MEN), LA BIBLIOTHÈQUE DE MONET, éd. Citadelles & Mazenod, 2013, 256 p., 69 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°387 du 15 mars 2013, avec le titre suivant : Les trésors de Monet

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