La chronique de Emmanuel Fessy

Inter-Kiefer

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 27 février 2013 - 442 mots

Interaction, interactivité… L’époque et ses usages numériques louent les croisements, les pratiques collectives. Cependant, pour les artistes, une démarche collaborative ne va pas de soi.

Dans son vaste espace de Pantin, Thaddaeus Ropac invitait à confronter musique et accrochage, tous du même temps. D’une pièce surgissait le son intriguant et envoûtant d’un basson solo, dans une autre, les spectateurs contemplaient les grands formats d’Anselm Kiefer, « Die Ungeborenen » (Les non-nés). Neuwirth, Boulez, Pintscher… Les solistes de l’Ensemble intercontemporain enchaînaient les partitions, quasi-contemporaines des créations visuelles. L’écriture musicale était minimale, fragmentée, en contraste avec l’univers d’un Kiefer que l’on rattacherait de prime abord à l’ampleur orchestrale d’un Wagner. Initiative bienvenue du galeriste, lui qui, à Pantin, ne veut pas seulement présenter de très grands formats, mais offrir aussi une programmation différente. Le programme, né de la rencontre entre Kiefer et le futur directeur de l’Ensemble intercontemporain, Matthias Pintscher, était donc riche de réflexions.

La musique induit-elle un autre regard, l’œuvre plastique peut-elle modifier l’écoute, ou se limite-t-elle à un décor ? Souvenons-nous des correspondances que recherchait Pierre Boulez dans l’œuvre de Paul Klee (Le Pays fertile), des expériences des Ballets russes de Diaghilev. Chris Ofili vient de créer les décors d’un ballet, Bill Viola les images d’un Tristan et Isolde… Les rencontres se nouent le plus souvent autour d’une œuvre déjà existante, exceptionnelles sont les collaborations à l’origine d’une création partagée. Kiefer s’y est risqué en montant pour l’Opéra Bastille Am Anfang (Au commencement). Il reconnaissait du reste l’une des difficultés à l’opération, sa dimension collective : « c’est la première fois que je travaille en équipe. C’est très différent », disait-il à propos de sa collaboration avec le compositeur Jörg Widmann, « l’échange continue de nourrir le projet, en constante évolution ». Le même Boulez a souligné la nécessité pour un créateur de sortir de son univers, d’échapper à un enfermement. Il nuançait : un créateur aventurier dans son domaine a aussi besoin de se rassurer s’il explore des terres inconnues. Klee n’était-il pas également violoniste… L’alchimie de l’œuvre commune, mariant des langages, des medium différents, reste une énigme car elle suppose ouverture – mais l’artiste doit déjà tellement s’investir dans son propre domaine –, entente d’ego – force de la créations individuelle –, abandon des hiérarchies – une œuvre au service de l’autre… Mythe alors ? Relevons l’initiative conjointe de deux écoles nationales (les Arts déco et les Beaux-arts) et de deux conservatoires (de musique et danse, de théâtre) pour vivifier, à travers de jeunes doctorants, une communauté artistique et intellectuelle en créant avec l’École normale supérieure un programme doctoral commun, SACRe (Sciences, Arts, Création, Recherche). Réponse dans trois ans.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°386 du 1 mars 2013, avec le titre suivant : Inter-Kiefer

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