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Naissance des galeristes

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 12 février 2013 - 585 mots

Un pavé universitaire est consacré aux galeries de Paris entre la Libération et la création d’Art Basel.

Les études universitaires sur les galeries sont suffisamment rares pour que celle de Julie Verlaine sur les galeries françaises de 1944 à 1970 mérite d’être signalée. Malgré les pesanteurs du genre, cet ouvrage issu d’une thèse de doctorat livre une vision large de l’histoire de ces galeries, dépassant les souvenirs autobiographiques habituellement publiés. Une vision si large même qu’il raconte en fait vingt-cinq ans du marché de l’art contemporain dans l’après-guerre. À l’époque les galeries ont été quasiment les seules révélatrices de talents face à la déficience des musées d’art moderne et en l’absence de centres d’art. Les marchands d’art d’avant-guerre, dont on apprend dans un chapitre édifiant que plusieurs sont restés très actifs pendant l’Occupation, sont devenus en un quart de siècle des « galeristes » – le mot est entré dans le dictionnaire en 1981. Leur mode de fonctionnement est au fond très proche de ce qu’il est aujourd’hui, il s’agit de véritables entrepreneurs tournés vers la promotion des artistes de leur « écurie ».

Comme tout entrepreneur, ils ont développé une marque, dont certaines sont encore très actives aujourd’hui : Louis Carré, Denise René, Jeanne Bucher, pour citer les plus anciennes. Et pour défendre leur métier, ils se regroupent dès 1947 dans un comité professionnel. Pourtant, malgré leur professionnalisme, les marchands ne voient pas que le centre géographique de l’art se déplace progressivement de Paris vers New York. Confortés par plus d’un siècle de suprématie de la place parisienne, ils pensent que l’étiquette de « nouvelle école de Paris » est un label suffisant pour attirer les acheteurs, en majorité étrangers selon l’auteure. Or les collectionneurs américains se tournent maintenant vers l’expressionnisme abstrait et le pop art, développés en dehors de toute légitimation parisienne.

Le mini-krach new-yorkais
de 1962

Le coup de grâce est apporté par la victoire de Robert Rauschenberg à la Biennale de Venise de 1964, marquant symboliquement l’effacement de l’école de Paris. Ce qui est ressenti comme un affront intervient d’autant plus mal que les galeries parisiennes se remettent à peine d’une crise économique qui les a affaiblies. Car, ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette enquête, le marché de l’art contemporain est déjà mondialisé dans les années 1960. Près d’un demi-siècle avant la chute de Lehman Brothers, en 1962, c’est aussi le capitalisme financier new-yorkais qui mit à mal ce petit milieu. Tout part d’un mini-krach de Wall Street qui, par contagion, va vider les galeries françaises de leurs acheteurs. Une lettre du réalisateur américain Billy Wilder annulant sa réservation d’un tableau de Soulages auprès de la Galerie de France en témoigne. Mais, alors que la Bourse américaine se remet vite de ce coup de froid, les marchands français mettront quatre ans à recouvrer la santé. Au passage on apprend que bien peu de galeristes français (Louis Carré et Denise René) ont ouvert une antenne aux États-Unis.

L’étude s’achève sur la montée en puissance des maisons de ventes et plus encore des foires, qui vont bouleverser leur économie. À Florence en 1963 et surtout à Bâle, avec la création en 1970 d’Art Basel. La France, toujours en retard, crée sa première foire, la Fiac [Foire internationale d’art contemporain] en 1974. L’ouvrage mériterait une version grand public simplifiée qui mettrait mieux en évidence les lignes de force.

Julie Verlaine,Les galeries d’art contemporain à Paris. Une histoire culturelle du marché de l’art, 1944-1970, Publications de la Sorbonne, 580 p., 25 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°385 du 15 février 2013, avec le titre suivant : Naissance des galeristes

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