Cartographie

Un monde à la carte

Par Suzanne Lemardelé · Le Journal des Arts

Le 29 janvier 2013 - 700 mots

Le catalogue de l’exposition présentée à la Bibliothèque nationale de France offre un voyage, plus ou moins imaginaire, dans le temps.

Qui n’a jamais rêvé devant le vieux planisphère d’une salle de classe, parcourant du regard des frontières obsolètes et des pays aujourd’hui disparus ? Cette double vocation de la carte, instrument de navigation autant que générateur de rêveries, est décortiquée avec talent dans le catalogue de l’exposition L’âge d’or des cartes marines, qui vient de fermer ses portes à la BnF.

La bibliothèque possède en effet la plus grande collection de cartes portulans en France, celles-là même qui indiquaient et décrivaient les ports situés le long des côtes dans un espace maritime quadrillé de lignes correspondant aux directions de la boussole. Comment étaient-elles conçues ? « Pas sur le pont des navires, l’astrolabe et le compas à la main », rectifie dès le premier chapitre Frank Lestringant, professeur de littérature de la Renaissance à l’université Paris IV. « Il s’agit là d’une vue de l’esprit, la plupart des portulans que nous connaissons étant des produits de terre ferme, résultant d’une compilation de relevés nautiques reportés au propre et mis bout à bout .» Nombre de ces cartes, pratiques et peu précieuses, connaissaient une large diffusion sociale, circulant par milliers et se monnayant parfois pour moins d’une livre. Les très beaux portulans qui sont parvenus jusqu’à nous, dessinés à la main sur du parchemin, enluminés et pour certains rehaussés d’or, étaient en revanche bien souvent des objets de prestige. Ils décoraient les palais de leurs puissants commanditaires pendant que des copies moins fragiles partaient sillonner les océans. Du Moyen Âge au siècle des Lumières, l’ouvrage retrace l’histoire et les usages de ces objets qui reflètent les découvertes de la vieille Europe autant que l’évolution de son regard sur l’ailleurs. Ces cartes racontent les voyages, mais aussi les fantasmes des hommes. À côté de la réalité géographique – toute relative – se glissent parfois des représentations merveilleuses d’animaux locaux, de populations indigènes et de leurs habitations, autant de détails imaginaires que les nombreuses et belles illustrations du catalogue permettent de découvrir.

Valorisation d’un patrimoine méconnu
En regard de ces riches reproductions, les essais du catalogue se veulent un point sur les connaissances scientifiques actuelles concernant ce type de cartes, un domaine de recherche qui a beaucoup évolué depuis les vingt dernières d’années. Une dizaine de chercheurs spécialistes de la cartographie se sont joints dans ce dessein aux quatre commissaires de l’exposition : Jean-Yves Sarazin, directeur du département des Cartes et plans de la BnF, Catherine Hofmann, conservateur en chef des bibliothèques au même département, Emmanuelle Vagnon, chargée de recherches au CNRS et à l’université Paris 1, et Hélène Richard, inspecteur général des bibliothèques. La succession des essais, organisés en trois grandes thématiques (La Méditerranée, Le grand large et L’océan Indien), est rythmée par les notices détaillées de cinq objets phares : l’Atlas catalan (1375), le planisphère du Génois Nicolò de Caverio (vers 1505), l’atlas portugais dit Atlas Miller (1519), la Cosmographie universelle du Havrais Guillaume Le Testu (1556) et la carte du Pacifique du Hollandais Hessel Guerritsz (1622). Les textes nous apprennent notamment qui étaient les hommes qui réalisaient ces portulans, artisans dont les ateliers déclinent au XVIIe siècle face au goût nouveau des commanditaires pour les cartes imprimées. Ils éclairent également la traduction dans les cartes des grandes découvertes géographiques, à une époque où elles progressent à toute vitesse et transforment les équilibres politiques.

Les progrès scientifiques changent aussi la donne, avec entre autres la prise en compte progressive des latitudes puis des longitudes, qui bouleversent la manière d’envisager l’espace maritime. Cette publication s’inscrit dans le cadre d’une politique de valorisation dynamique menée par la bibliothèque : en plus de l’exposition, le recensement et la numérisation des cartes portulans conservées dans toutes les collections publiques nationales ont été lancés. Celles de la BnF et du Service historique de la Défense sont d’ores-et-déjà disponibles sur Gallica (bibliothèque numérique de la BnF). Une opportunité de découvrir ce patrimoine méconnu à l’ère de Google Maps.

L’AGE D’OR DES CARTES MARINES. QUAND L’EUROPE DÉCOUVRAIT LE MONDE

Sous la direction de Catherine Hofmann, Hélène Richard, Emmanuelle Vagnon, Coédition Bibliothèque nationale de France/Seuil, 2012, 256 p., 39 €

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°384 du 1 février 2013, avec le titre suivant : Un monde à la carte

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