Anthropologie

Cheveux polysémiques

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 29 janvier 2013 - 783 mots

Le Musée du Quai Branly explore le thème du cheveu dans un parcours déroutant fait de clichés et de ruptures, où la mort n’est jamais très loin.

PARIS - Des portraits de l’aristocratie française sculptés en marbre font face aux bustes en bronze de Charles Cordier qui, au XIXe siècle, cherche à capter, avec respect, les caractéristiques des peuples issus de cultures non occidentales. Les protagonistes de cette séduisante galerie qui, selon leur position, se jaugent ou s’ignorent, donnent le ton de ce parcours, véritable mélange des genres, concocté pour le Quai Branly par Yves Le Fur, directeur des collections de l’institution.

Le conservateur à qui l’on doit la première exposition du Quai Branly en 2006, « D’un regard l’autre, histoire des regards européens sur l’Afrique, l’Amérique et l’Océanie » mais aussi, auparavant, en 1999, au MAAO, la très marquante « La mort n’en saura rien, reliques d’Europe et d’Océanie », explore un thème qui lui trottait depuis dans la tête : le cheveu. Objet de frivolité, signe d’appartenance à un groupe ou d’affirmation de soi, élément fragile mais imputrescible, le cheveu est aussi lié à la perte, à la mort. Comme le souligne Yves Le Fur, « les précédentes propositions de cet espace dédié à des expositions transversales et à la mise en perspective de thématiques anthropologique tournaient autour de la question de la représentation. Aujourd’hui, avec le cheveu, nous passons de la représentation à la matérialité humaine, de l’image à la matière, depuis les clichés occidentaux jusqu’à des conséquences qui peuvent nous sembler insupportables, comme celles des trophées de la chasse aux têtes et des momifications ».

Confrontation capillaire
Il en résulte une démonstration troublante jouant sur les points de vue, incitant le visiteur à abandonner ses propres certitudes pour regarder les œuvres autrement. Un parcours fait de ruptures, où les deux dernières parties sont radicalement différentes d’un premier chapitre, conçu dans une ambiance colorée et hédoniste. Après les portraits stéréotypés de la galerie introductive, le commissaire s’est amusé à mélanger les supports. Une Sainte Marie-Madeleine sculptée du XIVe siècle côtoie une danse du scalp d’Annette Messager et les photographies de la série African Spirits (2008) de Samuel Fosso, tandis qu’un montage multimédia fait défiler les coiffures extraordinaires des mannequins de mode juxtaposées à celles de Papous. Cette première approche du cheveu, souligne l’idée que « la chevelure n’est pas significative en soi mais est polysémique », explique le commissaire, et montre « l’infirmation de l’individuel par rapport au social ». Et de citer les cheveux longs de cette veuve malgache ou de Picasso qui décide de se les laisser pousser jusqu’à la fin de la guerre. Leur succèdent des icônes blondes, brunes ou rousses, d’Ava Gardner à Yvette Horner en passant par un portrait de jeune fille signé Ingres. 

Le passage aux espaces suivants s’avère pour le moins abrupt. Le cheveu devient support de la mémoire, objet d’un certain fétichisme, comme en témoignent ces pendentifs raffinés conservant les mèches de cheveux de Marie-Antoinette ou du dauphin. D’une grande violence, les images filmées des femmes tondues à la Libération évoquent la perte du cheveu, qu’il soit voulu ou subi. C’est la fin du deuxième acte, difficile à envisager autrement que comme un choc, et le début d’un nouveau parcours où ont été réunies des coiffes et parures provenant en majorité des réserves du Quai Branly. Ainsi des impressionnantes coiffes couvre-nuque rikbaktsa du Mato Grosso en plumes, fibres végétales, bois et cheveux, portées par les hommes lors de rituels et de rencontres intertribales, ou du bâton de chef tokotoko du XIXe siècle (Polynésie) orné d’un pompon de cheveux prélevés sur les ennemis tués au combat… Le visiteur est ici livré, sans réels repères, à l’exposition de restes humains. Véritables trophées, les têtes réduites, ou tsantsa, ont été élaborées par certaines tribus jivaros, tels les Shuars, selon un rituel long et complexe portant une attention particulière à la chevelure. Demeurée quasi intacte, elle contraste avec les visages rétrécis et meurtris de ces têtes devenues des objets rituels aux vertus magiques. La momie péruvienne, datée entre le XIe et le XVe siècle, et la tête de momie égyptienne d’époque romaine aux cheveux bouclés encore palpables, sont les dernières visions de cette expérience singulière.

Avec ce sujet inattendu et, a priori, frivole, Yves Le Fur renoue avec l’un de ses thèmes de prédilection : l’expérience de la mort, la disparition, l’au-delà, et les représentations que peuvent s’en faire les diverses cultures du monde.

CHEVEUX CHÉRIS – FRIVOLITÉS ET TROPHÉES

Jusqu’au 14 juillet, Musée du Quai Branly, 37 Quai Branly, 75007, tél. 01 56 61 71 72, www.quaibranly.fr, tlj sauf lundi, 11h-19h et 21h jeudi, vendredi et samedi.

Catalogue : éditions Actes Sud, 270 p., 42 €

CHEVEUX CHÉRIS

Commissaire : Yves Le Fur, directeur du département du Patrimoine et des collections du Musée du Quai Branly

Nombre d’œuvres : 250

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°384 du 1 février 2013, avec le titre suivant : Cheveux polysémiques

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