Afrique subsaharienne

Au fil de la Bénoué

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 15 janvier 2013 - 870 mots

Au travers d’œuvres inédites issues de collections publiques et privées, le Musée du quai Branly révèle des productions artistiques méconnues du Nigeria.

PARIS - Zone centrale du Nigeria où de nombreuses communautés cohabitent, la vallée de la Bénoué, du nom de la rivière qui traverse le pays d’est en ouest, n’avait jamais bénéficié d’une grande exposition, contrairement à d’autres territoires comme le royaume du Bénin. Organisée par le Fowler Museum de l’Université de Californie à Los Angeles, d’abord présentée aux États-Unis, au National Museum of African Art à Washington et à l’université de Stanford (Californie), « Nigeria… », aujourd’hui présentée au Musée du quai Branly, et la publication scientifique qui l’accompagne, viennent donc combler un vide dans l’histoire des arts de l’Afrique subsaharienne.

Synthétisant le corpus des productions artistiques découvertes le long de la rivière Bénoué, depuis sa source au Cameroun jusqu’à sa confluence avec le Niger, les œuvres ici réunies « témoignent de l’histoire des échanges et de l’interaction entre les communautés locales, tout particulièrement au XIXe et au XXe siècle », comme l’expliquent dans le catalogue deux des commissaires, Marla C. Berns et Richard Fardon. La manifestation s’appuie sur les archives, photographies et films collectés de la fin des années 1960 aux années 1980 par l’historien de l’art Arnold Rubin. Décédé en 1988, il préparait alors une exposition sur « la sculpture du bassin de la Bénoué » pour laquelle il avait commencé un inventaire des œuvres de la zone.

La plupart des 150 masques et sculptures présentés aujourd’hui sont des pièces inédites, qui sommeillent habituellement dans les réserves de musées tels le British Museum à Londres et l’Ethnologisches Museum de Berlin, ou sont issues d’une trentaine de collections privées. Un travail considérable a été réalisé sur la provenance de ces pièces appartenant à des particuliers ou entrées dans les collections publiques, notamment britanniques, avant l’indépendance du Nigeria en 1960 mais aussi après la guerre du Biafra (1967-1970). « Nous avons cherché à ouvrir les questions, à émettre de nouvelles hypothèses », souligne Hélène Joubert, conservatrice au Quai Branly, l’une des commissaires. Et de citer ce couple de statues Montol, un homme daté d’avant 1905 conservé à Bâle et une femme datée d’avant 1970 conservée en main privée, qui proviendraient tous deux du village de Gwana et se voient regroupés comme sur une photographie prise par Rubin en 1966. « Il y a l’idée d’une démonstration didactique et la volonté aussi de charmer le visiteur avec des pièces d’exception », à l’instar des statues Mumuye, véritables images animées dont de subtils détails (tel ce léger décrochement du genou) indiquent le mouvement.

Parcours cohérent
Par son ampleur, le caractère inédit des objets et le travail scientifique accompli, l’exposition aurait pu – aurait dû ? – occuper le grand espace d’exposition du rez-de-jardin. Elle comprenait d’ailleurs à l’origine 300 objets, soit le double des œuvres visibles. Mais, restrictions budgétaires obligent, les commissaires ont dû renoncer à une longue série de prêts. Point d’œuvres du Nigeria, donc, sur les cimaises du Quai Branly ; leur acheminement se serait révélé trop coûteux et compliqué. « Outre les problèmes de transport et d’assurance, il s’agit aussi de fonds difficiles à réidentifier qui exigent un travail considérable de mise à jour, précise Hélène Joubert. Nous avons donc opté pour une configuration États-Unis-Europe. L’important n’est pas de tout dire mais d’ouvrir une porte et d’être cohérent sur ce que l’on dit. » Même en France, les prêts ont été limités à Paris, alors que certains collectionneurs privés du sud de la France ou d’institutions publiques comme le Muséum de La Rochelle conservent des pièces de premier plan.

Cohérent, séduisant, le parcours l’est, sans aucun doute. Les scénographes sont parvenus à tirer parti des espaces peu commodes de la mezzanine, en ouvrant largement le lieu sur les collections permanentes et le paysage urbain visible depuis les baies vitrées. Le parcours traverse les grandes notions culturelles de la Bénoué en cherchant à identifier quelques artistes. Il s’organise selon les trois « sous-régions » telles qu’elles ont été définies par les chercheurs : la basse, la moyenne et la haute Bénoué. Photographies et films évoquent les éléments qui n’ont pu être présentés, ainsi des masques Bénoué en textile. L’imposant Masque-éléphant attribué à l’artiste Oba, originaire du village d’Otobi, les sculptures féminines Mumuye, les masques hybrides anthropo-zoomorphes portés lors de rituels de passage ou les récipients ancestraux des Yungur offrent, selon les commissaires, autant de visions de l’« un des plus grands patrimoines artistiques de l’Afrique subsaharienne ».

NIGERIA. ARTS DE LA VALLÉE DE LA BÉNOUÉ

Jusqu’au 27 janvier, Musée du quai Branly, 37, quai Branly, 75007 Paris, tél. 01 56 31 70 00, www.quaibranly.fr, tlj sauf lundi 11h19h, jeu.-vend.-sam. jusqu’à 21h.

Catalogue, Somogy Éditions d’art, 27 €.

Voir la fiche de l'exposition : Nigeria - Arts de la vallée de la Bénoué

NIGERIA

Commissaires : Hélène Joubert, conservatrice en chef du patrimoine, responsable de l’Unité patrimoniale Afrique du Musée du quai Branly ; Marla C. Berns, directrice du Fowler Museum auprès de l’université de Californie, Los Angeles ; Richard Fardon, professeur d’anthropologie d’Afrique de l’Ouest et directeur du programme doctoral, université de Londres ; Sidney Kasfir, professeure d’histoire de l’art à l’université Emory, Atlanta

Scénographie : Agence NC

Nombre de pièces : 150

Légende photo

Affiche de l'exposition « Nigeria. Arts de la vallée de la Bénoué » au Musée du quai Branly, du 13 novembre 2012 au 27 janvier 2013.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°383 du 18 janvier 2013, avec le titre suivant : Au fil de la Bénoué

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