La chronique d'Emmanuel Fessy

Venise, tout un symbole

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 2 janvier 2013 - 481 mots

Déjà envisagé, mais porté cette fois par les volontés diplomatiques de célébrer le cinquantième anniversaire du traité de l’Élysée signé par le général de Gaulle et le chancelier Adenauer, l’échange des pavillons français et allemand devrait se concrétiser lors de la prochaine Biennale de Venise.

Au-delà des relations Paris-Bonn-Berlin, cet échange d’espaces s’inscrit dans l’évolution de la Biennale. Conçue à la fin du XIXe siècle sur le modèle des expositions universelles, l’Exposition internationale des arts visuels a d’abord donné la primauté aux États en les incitant à construire des pavillons dans les Giardini, en organisant une compétition où l’un d’eux serait gratifié d’un Lion d’Or.

Le XXe siècle accordant plus de reconnaissance aux artistes de l’ère planétaire, la Biennale devenant aussi expansionniste sur la Lagune, Venise a multiplié les expositions thématiques, a accueilli un in et un off qui ont mélangé les nationalités en reléguant l’apparition des États au profit de celle des artistes. Les États n’ont pas disparu pour autant, puisqu’ils organisent et financent les expositions de la plupart des pavillons, dont le nombre ne cesse de croître et la question de leur image fait toujours débat. Outre Rhin, un groupe d’artistes et d’architectes réclamait récemment la destruction du pavillon allemand, redessiné en 1938 sur les ordres d’Hitler, comme si la destruction d’un bâtiment pouvait effacer l’Histoire. L’échange franco-allemand des lieux d’exposition prolonge également le choix des artistes sélectionnés pour cette 55e édition. Au risque d’être accusée de ne pas soutenir les artistes « locaux », Susanne Gaensheimer propose quatre artistes non germaniques, dont Ai Weiwei qui n’avait aucune chance d’être abrité par le pavillon chinois et le sera donc in fine par celui dit français. En face, Anri Sala symbolisera la mouvance des artistes en ayant son atelier à Berlin et s’étant formé, après les Beaux-Arts de Tirana, à l’École des Arts déco de Paris, puis au Fresnoy. Quelle sera l’influence de ces symboles sur des citoyens en proie à une crise économique favorisant les discours protectionnistes, voire nationalistes ?

Soyons perplexes sachant le cloisonnement entre le flot des touristes se cantonnant à la place Saint Marc et le bruissement des visiteurs aux Giardini, déjà acquis sans doute aux idéaux européens et mondiaux. Cette politique de symboles ne peut non plus masquer une réalité préoccupante en Europe et ailleurs. Certes, Manuel Valls a abrogé la circulaire Guéant restreignant les possibilités pour les diplômés étrangers de travailler en France, mais la politique d’immigration reste un sujet à vif. Londres, autrefois terre d’accueil, exige depuis un an de ses candidats au titre de séjour d’être « établis comme des artistes de rang mondial » et de verser 816 £ – plus de 1000 euros – pour déposer leur demande, sans être remboursés en cas d’échec ! Succès pour David Cameron, le nombre de visas accordés à des artistes a chuté de 85 %. Les symboles ne doivent pas devenir des linceuls.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°382 du 4 janvier 2013, avec le titre suivant : Venise, tout un symbole

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