Photographie

Londres

Le Printemps arabe en lumière

Par Gisèle Tavernier · Le Journal des Arts

Le 2 janvier 2013 - 670 mots

Au V&A Museum de Londres, trente ans de photographie contemporaine au Moyen-Orient questionnent une création artistique dans la tourmente.

LONDRES - À Téhéran, 1979, une foule d’émeutiers brûle le portrait du Shah d’Iran devant l’objectif d’Abbas, photojournaliste iranien de l’agence Magnum. Ce témoignage historique introduit le thème de l’exposition « Light from the Middle East : New Photography » au Victoria and Albert Museum (V&A Museum) à Londres (Angleterre), qui va de la révolution iranienne à la création contemporaine moyen-orientale aux prises avec les tourments du Printemps arabe des années 2010. « Tout en se servant dans son titre du terme photographique de « lumière », l’exposition a pour propos d’éclairer sur le Moyen-Orient les visiteurs qui viendraient avec des préjugés en dépassant la question de la représentation », explique Marta Weiss, commissaire et conservatrice de la Photographie au V&A. Du Maroc à la Turquie, la collection Art Fund – que se partagent le V&A Museum d’art et de design et le British Museum d’Histoire – examine les réponses variées de trente artistes aux mutations sociales, religieuses et aux bouleversements politiques de la région.

En 2009, ce fonds britannique de mécénat privé au service des musées nationaux commençait à collectionner les 95 photographies exposées. « L’intérêt croissant pour cette scène est lié aux événements du 11 septembre qui ont eu pour effet d’inciter les Occidentaux à mieux comprendre ce qu’est la culture du Moyen-Orient », analyse Stephen Deuchar, président de The Art Fund. Découpée en trois thèmes – « Enregistrer », « Recadrer », « Résister » –, l’exposition au V&A traverse la guerre Iran-Irak qu’illustre la série Mothers of Martyrs de l’Iranienne Newsha Tavakolian, la guerre civile au Liban scenarisée par Walid Raad ou le tandem Joana Hadjithomas et Khalil Joreige brûlant des cartes postales, comme la place des femmes affectée par le consumérisme occidental vue par Shadi Ghadirian (Iran) ou Hassan Hajjaj (Maroc). Les migrations apparaissent chez Youssef Nabil dans le style du portrait de studio égyptien, tandis que la répression des soulèvements démocratiques est ironiquement dénoncée dans la série connue Upekkha (2011) de la plasticienne Nermine Hammam (Égypte) qui transplante les jeunes soldats de la place Tahrir dans les décors bucoliques de cartes postales.

Témoignages politiques
Des noms peu vus livrent des énigmes visuelles. Faisant allusion à la « ziyara » soufie, la puissante performance Light (2006) de Waheeda Malullah (Bahreïn), couchée entre deux tombes immaculées, interprète ce pèlerinage de vénération des morts, tandis que par la grâce d’un jeu de miroir où elle se reflète, la photographe Mehraneh Atashi (Iran) transgresse l’interdit féminin dans les gymnases dévolus à la « zurkhana », une boxe sacrée. Les conflits régionaux endémiques au Moyen-Orient sont évoqués, notamment les territoires occupés de Cisjordanie. La série Watchtowers, West Bank, Palestine (2008) de Taysir Batniji (Gaza, Palestine), un recensement des miradors israéliens aux postes-frontières qui parodie la froideur documentaire d’Hilla et Bernd Becher, est mise en regard avec le triptyque arboricole Grapefruit, Persimmon et Pomegranate (2010-2011) de Tal Shochat (Israël) renvoyant à l’émouvant film israélien Les Citronniers d’Eran Riklis sur le voisinage forcé. Ces portraits d’arbres, « symboles de lieu et de territoire » selon Shochat, se servent des artifices de l’éclairage de studio pour évoquer, dit-elle, « l’utopie mythologique juive de la Terre promise ». Au Moyen-Orient, la censure s’abat sur les millions d’images citoyennes prises avec des téléphones portables. « Les nouvelles technologies sont une forme importante de la démocratie. Pourtant, le Moyen-Orient n’a pas son image iconique comme il en existe pour la guerre au Vietnam ou les manifestations de la place Tien An Men, car le rôle des reporters s’est amoindri. À l’artiste d’analyser l’image à un moment de chambardement global dont l’épicentre se trouve dans cette région », conclut Nermine Hammam.

Light from the Middle East : New Photography

Jusqu’au 7 avril, Art Fund collection au V&A and British Museum. www.vam.ac.uk, entrée libre, tlj 10h-17h45, vendredi jusqu’à 22H.

Catalogue sous la direction de Marta Weiss, texte de Venetia Porter, Steidl/V&A Publishing, 180 p., 25 £ (30 €)

New photography

Commissaire : Marta Weiss, conservateur de la Photographie au V&A Museum

Nombre d’œuvres : 95 photographies.
30 artistes de 13 pays

Légende Photo :
Newsha Tavakolian, Sans titre, 2006, série Mères de martyrs, c-print numérique, 50 x 76 cm. © V&A. Art Fund Collection of Middle Eastern Photography at the V&A and the British Museum.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°382 du 4 janvier 2013, avec le titre suivant : Le Printemps arabe en lumière

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