Inde

Sunil Gawde : le non de la rose

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 12 décembre 2012 - 742 mots

La galerie Rabouan Moussion présente la première exposition personnelle en France de l’artiste indien aux œuvres tout en dualité.

PARIS - En Inde, les guirlandes font partie de la tradition. Elles sont utilisées en de multiples occasions, étant offertes aussi bien en signe de respect lors de mariages ou fêtes religieuses qu’en geste de bienvenue dans le cadre diplomatique de réception de personnalités, notamment politiques.

Au Centre Pompidou, à Paris, de mai à septembre 2011 lors de l’exposition « Paris-Delhi-Bombay » dont le commissariat était assuré par Fabrice Bousteau et Sophie Duplaix, trois guirlandes réalisées par l’artiste Sunil Gawde accueillaient le visiteur à l’entrée de la section politique de la manifestation. Des guirlandes pour le moins menaçantes, puisque si elles mettaient effectivement en bouquet quelques roses décoratives, elles étaient principalement composées, non pas d’épines, mais de centaines de lames de rasoir peintes en rouge vif. En somme, un glissement de la rose rouge au rouge sang pour un effroi garanti.

Intitulée Virtually Untouchable-III, l’installation fait référence à trois assassinats : celui, en mai 1991, de l’ancien Premier ministre indien Rajiv Gandhi à Sriprumbudur, dans l’État du Tamil Nadu, lequel fut victime d’une attaque à l’explosif qu’une militante du mouvement Liberation Tigers of Tamil Eelam avait caché… dans une guirlande de fleurs avant de la placer autour de son cou et d’appuyer sur le détonateur ; celui du Mahatma Gandhi en 1948 ; et enfin celui d’Indira Gandhi en 1984. L’œuvre est à nouveau montrée à Paris, à la galerie Rabouan Moussion, qui présente la première exposition personnelle en Europe de Sunil Gawde (né en 1960 à Mumbai où il vit et travaille). Il avait certes été présenté à la Biennale de Venise en 2009, avant Beaubourg en 2011, mais il n’avait encore jamais bénéficié de solo show.

Dès l’entrée, les trois guirlandes font office de comité d’accueil doublement tranchant. Avec ses roses, l’œuvre introduit d’une part directement à Like in love perhaps, un grand escalier lui aussi recouvert de roses, d’autre part à plusieurs pièces pour le moins acérées et symboliquement coupantes. Si les premières marches de Like In love Perhaps sont joliment recouvertes de roses rouges, c’est pour mieux camoufler les clous disposés sous leurs pétales. On les découvre progressivement au fil des marches lorsque les fleurs, de plus en plus clairsemées, soulignent justement l’aspect fakir d’une hypothétique ascension. On retrouve là, comme avec les guirlandes, cette dualité entre le rêve et la réalité, le poétique et le politique, entre la douceur esthétique et la cruauté dissimulée.

Bucolisme trompeur
Inshallah se compose d’une grande cisaille de jardin et de papillons en acier, le tout animé par de petits moteurs. Cette fois le couperet n’est pas masqué. On le sent même destiné à découper l’insecte en morceaux. Mais non. Car au millimètre près leurs mouvements ne sont volontairement pas synchrones, ceci afin d’introduire la dimension du temps et de l’aléatoire, et pour rappeler que le hasard peut (ou ne peut pas) bien faire les choses.

Des papillons, on en retrouve trois grands accrochés sur les murs, deux d’un côté et le troisième en face. Leurs ailes ajourées et en acier réfléchissant créent de subtils jeux d’ombre et de miroirs, mais l’éventuel bucolisme de la scène sent le drame lorsqu’on découvre que les corps des lépidoptères sont faits à l’aide de poignards et que la parade amoureuse des deux prétendants va se terminer en duel sanglant.

De même, A Rush of Blood to the Head place sur un socle une importante fleur rouge, sorte d’hibiscus exubérant finement sculpté en métal peint. Son immense pistil qui pend jusqu’au sol est de bon augure, sauf que là encore tout bascule avec la vision du redoutable hameçon qui la termine et auquel il vaut mieux ne pas se faire p(r)endre. Toutes les œuvres de Sunil Gawde, douces en apparence, d’une grande tension avec une violence sous-jacente en fait, révèlent ainsi la différence de perception qui existe entre la première impression et ce qu’il en est réellement, le grand écart de lecture entre l’endroit et l’envers du réel.

Le prix des œuvres fait lui aussi un grand écart, assez logique en fonction de la taille des œuvres : de 7 000 euros pour la plus petite (la fleur et son hameçon) à la plus importante, l’escalier qui grimpe, lui, jusqu’à 70 000 euros.

SUNIL GAWDE, SOLO SHOW

Jusqu’au 30 décembre, Galerie Rabouan Moussion, 121, rue Vieille-du-Temple, 75003 Paris, 01 83 56 78 21, www.galerie-rabouan-moussion.com, du lundi au samedi 10h-19h.

SUNIL GAWDE

Nombre d’œuvres : 7 sculptures (avec en complément dix photos d’objets)

Prix : entre 7 000 et 70 000 €

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°381 du 14 décembre 2012, avec le titre suivant : Sunil Gawde : le non de la rose

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