Art aborigène

La modernité dans la tradition

Le Journal des Arts

Le 11 décembre 2012 - 718 mots

Le Musée du quai Branly met en lumière les premières peintures aborigènes du mouvement de Papunaya, exécutées au tout début des années 1970.

PARIS - En 1971 et 1972 se joue dans une bourgade reculée d’Australie centrale un de ces tournants décisifs qui transforment durablement l’histoire de l’art. Durant cette courte période, une vingtaine d’Australiens aborigènes, installés à Papunya, un centre de regroupement pour les exilés du bush australien, transposent l’iconographie issue des rites du Tjukurrtjanu en un langage pictural complexe et profondément novateur. Confinées à l’étude des ethnologues, leurs productions vont devenir un enjeu pour les historiens de l’art occidentaux.

Ce glissement conceptuel est l’objet de l’exposition « Aux sources de la peinture aborigène », produite par deux institutions australiennes majeures, le Museum Victoria et la National Gallery of Victoria, et accueillie par le Musée du quai Branly, à Paris. Plus de 200 œuvres exécutées à l’orée des années 1970 par vingt artistes de Papunya illustrent cet art en devenir et témoignant pourtant, étrangement, d’une grande maturité.

Les premiers peintres aborigènes sont ceux qui savent les histoires et les rituels, qui dessinent et peignent au sol les récits et les cosmogonies de leurs peuples. Hommes déjà âgés, ils sont encouragés par Geoffrey Bardon, venu enseigner aux enfants de l’école de Papunya comment exprimer de manière picturale le récit de leurs croyances. Bardon, d’une lucidité étonnante, voit tout de suite dans ces peintures brutes et expiatoires une forme d’art iconoclaste et moderne. Au départ, ces dessins exécutés sur des panneaux de contreplaqué de récupération seront vendus pour quelques dollars aux touristes de passage : « C’est une peinture de contact, faite pour les Blancs », explique Philippe Peltier, conservateur en chef du département Océanie au Quai Branly et conseiller scientifique de l’exposition.

Ces premières créations sont marquées par un répertoire de formes très réduit (points, ondulations, flèches, lignes droites…) et une palette chromatique toute en bruns et ocres. Mais l’infinité de possibilités est exploitée largement par les différentes sensibilités des artistes.

L’aménagement de la première salle a été particulièrement soigné pour aider le visiteur à comprendre les enjeux historiques et sociaux qui ont amené l’émergence de cet art à Papunya. Dans les années 1960, les campagnes pour les droits fonciers des Aborigènes et la suppression des droits discriminatoires de ces peuples sont le terreau de leur reconnaissance. Les artistes de Papunya commencent donc à peindre dans un contexte favorable à la prise en compte de leur œuvre. Un immense mur de boucliers du début du siècle et des objets rituels évoquent le répertoire plastique à la source de la production de ces artistes.

Des individualités soulignées
L’accrochage des peintures forme en réalité vingt petites monographies d’artistes, présentés selon leur peuple d’origine. Ce choix est fondamental dans la perception de ces œuvres. Car ce sont bien des individualités, même si elles sont issues d’un même creuset, qui ont forgé leur art en collaboration. La production est immense : sur deux ans, on estime que 1 400 œuvres auraient été produites. Figure emblématique du mouvement, Kaapa Tjampitjinpa élabore un style précis, un graphisme méticuleux pour représenter les objets rituels. Yala Yala Gibbs Tjungurrayi, peintre issu du peuple Pintupi venu de l’Ouest australien, use d’un vocabulaire beaucoup plus géométrique, que l’œil occidental relie instinctivement à l’abstraction géométrique des avant-gardes du XXe siècle. Clifford Possum, sans doute le plus célèbre de cette génération, développe un style très personnel, des puzzles cartographiques aux tonalités très fines.

L’exposition déploie des peintures de paysages où l’étude de la lumière sur des sites géographiques précis est primordiale. Les rites n’y sont pas cachés, mais pas expliqués non plus. La dernière salle est dédiée aux grands formats, qui feront la renommée mondiale de Papunya. Plus tardives, ces toiles évoquent souvent plusieurs paysages combinés dans un cheminement de rêves rituels.

Aujourd’hui encore, les artistes de Papunya, réunis au sein d’une coopérative, continuent de peindre et de dessiner. Au Quai Branly, les œuvres de leurs prédécesseurs montrent comment une société traditionnelle s’approprie la modernité.

AUX SOURCES DE LA PEINTURE ABORIGENE, AUSTRALIE-TJUKURRTJANU

Jusqu’au 20 janvier 2013, Musée du quai Branly, 37, quai Branly, 75007 Paris, tél. 01 56 61 70 00, www.quaibranly.fr, tlj sauf lundi, 11h-19h, jeudi, vendredi, samedi jusqu’à 21h.

Catalogue, coéd. Musée du quai Branly/Somogy, 312 p., 45 €

Voir la fiche de l'exposition : Aux sources de la peinture aborigène

PEINTURE ABORIGENE

Commissariat : Judith Ryan, National Gallery of Victoria ; Philip Batty, Museum Victoria

Conseiller scientifique : Philippe Peltier, conservateur en chef au Musée du quai Branly

Nombre d’œuvres : env. 200, et 70 objets

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°381 du 14 décembre 2012, avec le titre suivant : La modernité dans la tradition

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