Turin

Artissima, andante

La foire turinoise a donné à voir des propositions hétérogènes dans un marché tempéré

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 27 novembre 2012 - 785 mots

TURIN - On ne s’y bouscule pas et l’on y prend son temps… trop peut-être ! C’est l’entier paradoxe d’Artissima, qui s’est tenue du 9 au 11 novembre à Turin (Italie), d’offrir dans une région riche en collectionneurs – qui tout en étant discrets n’en sont pas moins pour beaucoup très solides et dotés d’un goût assuré – une plateforme véritablement créative, voire expérimentale, où le commerce affiche toujours une belle tranquillité, pour ne pas dire une grande mollesse.

Les 172 galeries réunies, parmi lesquelles un gros contingent de françaises, le savent, et ne s’attendent jamais  à y engranger des résultats mirobolants. Mais elles savent aussi que la manifestation bénéficie d’une belle audience : des collectionneurs en premier lieu, venus de toute l’Italie et de France principalement, mais aussi d’autres pays européens ou de Turquie, et également de très nombreux critiques d’art ou curateurs en provenance d’un peu partout.

Car Artissima continue de cultiver sa singularité en s’affichant tel un événement culturel au sens large et non une simple foire. Toutes les institutions publiques et privées concourent à l’aventure de la conception d’un programme ambitieux, y compris celles que l’on n’attend pas. Ainsi la plateforme « Artissima Lido » a-t-elle cette année, dans un dialogue inhabituel entre une foire et des structures alternatives, convié cinq collectifs de commissaires à penser des projets prenant place dans autant de musées nullement dédiés à l’art contemporain. Ce qui permet au passage de redécouvrir des richesses pas forcément connues.

Parmi les propositions, Irmavep Club (Paris) faisait forte impression aux Archives nationales, avec notamment l’installation sonore de Phillip Sollmann emplissant des salles de réserves et le tableau vivant d’Adélaïde Fériot composé de deux jeunes filles semblables et immobiles, aux visages cachés par de larges cônes. Au Museo Diffuso della Resistenza, 98 Weeks (Beyrouth) proposait un ample programme de films d’artistes libanais, tandis que dans l’église attenante au Museo della Sindone, Public Fictions (Los Angeles) réussissait une belle mise en abîme interrogeant la faculté de vision, en rassemblant sur un sol en miroir réfléchissant la voûte au décor baroque des travaux de Samara Golden, Sarah Cain ou Giorgio de Chirico.

Une qualité disparate
Au sein de la foire elle-même, deux groupes de curateurs sont également intervenus afin d’assurer la sélection des sections « Back to the Future » et « Present Future », pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur fut la section dévolue à des artistes historiques ou aux parcours déjà établis : Gina Pane chez L’Elefante (Trevise), Valie Export chez Charim (Vienne) ou Walter Pfeiffer chez Sultana (Paris) y faisaient belle impression, de même que Mario Davico à redécouvrir chez Bianconi (Milan) ou le tchèque Josip Vanista présenté par Frank Elbaz (Paris). Il en allait autrement de la très jeune création présentée sur « Present Future », particulièrement médiocre, où l’on rencontrait tous les poncifs de la création actuelle : des oiseaux taxidermés posés au sol à la sculpture formaliste qui ne s’affirme pas comme telle et tente de tenir un discours, en passant par les derniers avatars d’une peinture géométrique n’ayant rien à dire. Y surnageaient les propositions de Merris Angioletti chez Schleicher/Lange (Berlin), Zachary Formwalt chez D T (Bruxelles) et la fraîcheur de la Blue Necromancy de Naufus Ramírez-Figueroa chez Proyectos ultravioleta (Guatemala City).
Très agréable à visiter, avec de larges allées et d’amples stands aux accrochages soignés, la foire permettait en outre, en dehors des quelques grands noms présents tels Casey Kaplan (New York), Krinzinger (Vienne), Peter Kilchmann (Zürich) ou Esther Schipper (Berlin), de voir autre chose que les traditionnelles enseignes présentes dans toutes les grandes foires, et donc d’effectuer des découvertes.

L’œil attentif pouvait ainsi dénicher un beau film de Niamh O’Malley et les irrésistibles natures mortes photographiques réalisées en papier hygiénique par Caroline McCarthy chez Green on Red (Dublin), le tout nouveau travail de peinture de Paul P. présenté par Tempo Rubato (Tel Aviv) ou Leszek Knaflewski et le collectif Kolo Klipsa, actifs dans les années 1980, sur le stand commun de Leto et Piktogram (Varsovie). Tandis que Athr (Jeddah) donnait à voir d’intéressants jeunes photographes tels le Saoudien Sami Al Turki et le Palestinien Hazem Harb.

Si le contexte turinois demeure attachant et de qualité, il mérite d’être dynamisé commercialement ; d’autant que les hostilités sur ce marché de taille modeste pourraient venir de Milan, décidée à donner une crédibilité qu’elle n’a jamais eue à sa foire MiArt. Ayant recruté le critique d’art Vincenzo de Bellis comme directeur, elle entend profiter du contexte économique de la capitale lombarde en renouvelant ses propositions et se positionnera désormais au mois d’avril, juste avant le Salon du meuble. À suivre...

Artissima

Directrice : Sarah Cosulich Canarutto

Nombre d’exposants : 172

Nombre de visiteurs : 50 000

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°380 du 30 novembre 2012, avec le titre suivant : Artissima, andante

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