Exposition

Paroles d'artiste - Michael DeLucia

« Je m’intéresse aux transformations dans les matériaux »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 27 novembre 2012 - 791 mots

Les « Projections » de Michael DeLucia font jouer la lumière dans des structures de bois sculpté à la galerie Nathalie Obadia, à Paris.

Avec ces panneaux et volumes en bois créés par informatique et entaillés par la machine, Michael DeLucia pose les bases d’une sculpture à la fois formaliste et phénoménologique, qui n’est pas sans marquer une évolution tant de l’art minimal que de la sculpture basée sur la lumière.

Frédéric Bonnet : Techniquement, comment procédez-vous à l’élaboration de vos sculptures ?
Michael Delucia : Je travaille avec un logiciel afin de générer une forme que je considère être la plus proche expression de la sculpture, de l’objet sculptural. Ce dessin est transformé en coordonnées que l’ordinateur transmet à une machine à découper qui est utilisée par des designers de meubles, des architectes, des créateurs d’enseignes… Pour l’essentiel, la machine contrôle l’outil en fonction des découpes que j’ai décidées.

F.B. : Le bois, la manière dont la couleur ou le noir y sont appliqués, les manques visibles… tout donne une sensation de « low tech » alors que le processus de production est très « high-tech ». Voyez-vous cela comme une contradiction ?
M.D. : Le processus que j’utilise est si contrôlé que je souhaite introduire un élément que je ne peux pas contrôler, ce que permet la nature organique de ce matériau. Je ne sais pas comment va être le grain à l’intérieur du bois quand je vais le couper. Le contreplaqué est fait de couches et chaque fois que je tombe sur une nouvelle couche, je trouve un autre grain. Beaucoup de gens regardent cela comme une imagerie et je sais que c’est ce qui va se passer, mais il s’agit ici d’indiquer que l’idée d’une forme minimale parfaite n’est vraiment pas possible. Elle ne peut véritablement exister que dans votre esprit pour autant que vous la compreniez.

F.B. : Diriez-vous qu’il y a des accidents dans la fabrication de la sculpture ? Lorsque par exemple apparaissent des trous dans les panneaux ou les volumes, s’agit-il d’accidents ou sont-ils des effets contrôlés ?
M.D. : J’essaie effectivement de créer un état où des accidents peuvent survenir. Je sais que cela va se produire mais je ne sais pas comment. Je ne peux pas contrôler exactement la manière dont le bois va réagir. Il y a dans l’exposition deux pièces que j’ai dupliquées : un grand triptyque vert que vous retrouvez en noir, de même qu’une pyramide en bleu et en noir. Les fichiers sont identiques, mais vous pouvez voir le caractère différent du bois qui les rend unique. Je sais que lorsque je coupe plus profondément dans l’épaisseur du bois, cela va s’abîmer à un certain point mais je ne sais pas exactement ce qui va se passer. C’est comme lorsque vous prenez une photo du soleil, cela altère l’image ; transférer cette clarté et cette intensité relate un moment qui est trop intense pour le médium image.

F.B. : De par la nature de la chromie appliquée à vos pièces, ou même l’intitulé de votre exposition « Projections », la lumière est-elle justement une préoccupation fondamentale ?
M.D. : Oui absolument. Les couleurs que j’utilise sont généralement « trouvées », c’est quelque chose que j’apprécie sur un autre objet. Pour l’essentiel ce qui m’importe est de savoir comment elles peuvent agir sur la perception. Je m’intéresse aux transformations qui se produisent dans les médiums ou les matériaux, car vous ne pouvez pas vraiment comprendre un objet sculptural seulement en le voyant. Ce qui est intéressant, c’est de le traduire dans un langage que vous pourrez comprendre, à travers la lumière notamment. Le titre « Projections » a à voir avec une contrainte de la sculpture d’essayer de présenter un objet sous la forme d’une imagerie.

F.B. : Qu’est-ce qui détermine les différentes formes que vous générez ?
M.D. : Ce sont des formes faciles. Si je me laisse aller à être plus compliqué cela introduit trop de confusion. Je crois avoir eu plus de variétés dans les formes que j’ai utilisées auparavant, mais je suis retombé à deux ou trois géométries primitives qui sont pour l’essentiel les fondamentaux du logiciel, ceux pour lesquels vous n’avez rien à créer : sphère, tube, cône… Avec ce vocabulaire limité s’ouvre un énorme monde d’exploration sans toutefois introduire de sujet. Ce qui m’intéresse c’est donc cette faculté d’être complètement fluide dans ce monde, mais sans être capable d’y entrer. Je travaille sur ces objets et j’en ai une expérience en les manipulant et en les créant, mais je ne peux pas traduire cette expérience pour qui que ce soit d’autre.

Michael DeLucia, Projections

Jusqu’au 28 décembre, Galerie Nathalie Obadia, 3, rue du Cloître Saint-Merri, 75004 Paris, tél. 01 42 74 67 68, www.galerie-obadia.com, tlj sauf dimanche 11h-19h

Voir la fiche de l'exposition : Michael DeLucia: Projections

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°380 du 30 novembre 2012, avec le titre suivant : Paroles d'artiste - Michael DeLucia

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