Autriche

La valse des nus viennois

Par Alain Quemin · Le Journal des Arts

Le 27 novembre 2012 - 835 mots

Avec un « show » consacré au nu masculin, le Musée Leopold de Vienne concentre, jusqu’à la caricature, tous les défauts des manifestations à succès.

VIENNE - Bien que le nu masculin ait été, très tôt, représenté en art, il a rarement fait l’objet d’expositions thématiques. Le Musée Leopold de Vienne (Autriche) a donc décidé de combler ce manque par une exposition qui couvre cinq millénaires, même si l’essentiel des œuvres s’étend du XVIIIe siècle à nos jours. La définition de la nudité masculine retenue par l’exposition apparaît brouillonne et ne convainc pas. Si la nudité intégrale va de soi, pourquoi avoir retenu de si nombreuses œuvres dans lesquelles les hommes sont représentés seulement torse nu, en sous-vêtements, voire dénudés de la tête aux épaules ? Encore plus discutable est une œuvre (de Pawel Althamer) qui ne représente aucun homme, mais juste des vêtements masculins ou même, pour une autre, un lit défait (dans une photographie de Félix González-Torres) ! Le choix des œuvres apparaît ainsi particulièrement problématique.

Sans même être spécialiste de la thématique, on pourra aisément s’amuser à répertorier tous les artistes et les œuvres majeurs qui sont absents de l’exposition, ce qui pose la question de son commissariat. Peut-on sérieusement organiser une exposition sur le nu masculin sans Le Penseur de Rodin, sans illustrer la peinture de tradition classique à l’aide de ses œuvres les plus emblématiques (et les plus réussies artistiquement) que sont le célèbre Œdipe et le Sphinx d’Ingres, l’iconique Jeune homme nu assis au bord de la mer de Flandrin, ou même L’amour et Psyché de François Gérard, ou le Combat de coqs de Jean-Léon Gérôme ?

Seulement, voilà, il eût fallu pour cela négocier des prêts d’œuvres importantes avec les musées du Louvre et d’Orsay… La période contemporaine apparaît tout aussi indigente : David Hockney n’est représenté que par une œuvre mineure, un petit dessin d’hommes (torses nus), alors que l’on pouvait espérer voir l’une de ses grandes toiles, comme Peter Getting Out of Nick’s Pool, qui aurait certes dû être empruntée à la Walker Art Gallery de Liverpool. Si figurent bien un (unique) Francis Bacon et un (seul) Nan Goldin (un homme torse nu), manquent complètement à l’appel les peintres Lucian Freud, Liz Peyton, Norbert Bisky, les photographes et vidéastes Larry Clark, Sam Taylor-Wood, Oleg Kulik, John Coplans et Matthew Barney, ainsi que les sculpteurs Charles Ray et Ron Mueck ! Notons également, en plus de ces manques aussi nombreux que criants, qu’absolument tous les artistes sont occidentaux, ce qui semble à peine croyable pour une exposition tenue au XXIe siècle, alors qu’auraient pu être représentés Ai Wei Wei et Zhang Huan… Beaucoup trop centrée sur l’espace culturel germanique (une salle entière est ainsi consacrée à Vienne autour de 1900, les artistes autrichiens sont écrasants), l’exposition oublie pourtant étrangement la période du IIIe Reich, alors même que le corps masculin y fut particulièrement célébré en art ! Pas la moindre œuvre d’Arno Breker ni de Leni Riefenstahl, on peut pour le moins s’en étonner…

Une exposition bâclée
La succession des salles et les œuvres qu’elles accueillent laissent souvent perplexe : certaines salles apparaissent redondantes, celle intitulée « Les bains sociaux » contient de nombreuses œuvres… qui n’ont rien à voir avec les bains ! On peut tout d’abord s’étonner que peu d’œuvres soient dues à des femmes, jusqu’à une salle thématique « réservée » au regard féminin sur le corps masculin qui ferait davantage sens si d’autres œuvres présentées ailleurs n’étaient, elles aussi, dues à des artistes femmes. Même si cela n’est que suggéré dans sa dénomination (serait-ce grave à ce point de le dire ?), une salle regroupe les œuvres d’artistes contemporains homosexuels. Et la seule œuvre de Pierre & Gilles ne figure même pas dans cette salle-là ! Alors que l’on aurait certes pu faire venir le public en nombre avec un thème accrocheur, mais en traitant ensuite celui-ci de façon intelligente et exigeante en termes de sélection des œuvres et d’organisation des salles, on n’assiste, au final, qu’à une exposition bâclée, au propos confus, dont la sélection d’œuvres, sans emprunts majeurs, paraît avoir obéi à la logique du moindre effort et du moindre coût, de l’économie (aux deux sens du terme) plutôt qu’à toute autre considération. L’économie et le marketing semblent avoir seuls prévalu dans une exposition clairement conçue pour être un « blockbuster » avec tous les défauts du genre.

Quelles œuvres retient-on au final ? Vive la France de Pierre & Gilles grâce à l’affiche de l’exposition, placardée en ville pour susciter le scandale (savamment dosé) — avec sa nudité frontale — et engendrer du buzz, ainsi que Mr. Big d’Ilse Haider, œuvre installée devant le musée. Comme si les œuvres mises en avant et utilisées pour la communication sur l’exposition avaient été testées d’abord sur un échantillon de consommateurs.

Leopold Museum, Nackte Männer. Von 1800 bis Heute (Hommes nus. De 1800 à aujourd’hui)

Jusqu’au 28 janvier, Museums Quartier Wien, MuseumsPlatz 1, A_ 1070 Wien, ouvert tlj sauf mardi 10h-18h, et jeudi 10h-21h, www.leopoldmuseum.org

Nackte Männer

Commissariat : Tobias G. Natter et Elisabeth Leopold

Nombre d’œuvres : 300

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°380 du 30 novembre 2012, avec le titre suivant : La valse des nus viennois

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