Portrait

Les grandes heures de James de Rothschild

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 27 novembre 2012 - 944 mots

La BnF rend hommage à James de Rothschild en retraçant le fabuleux destin du fondateur de la branche française de la célèbre dynastie de banquiers.

PARIS - Il a l’œil vif, le regard franc, et l’assurance tranquille d’un jeune homme de bonne famille. Son portrait trône à l’entrée de la galerie Mansart sur le site Richelieu de la Bibliothèque nationale de France (BnF). Nous sommes en 1821. James de Rothschild a 29 ans. Il vient d’être nommé Consul général d’Autriche. Dernier né de Mayer Amschel Rothschild, le patriarche qui a fondé l’entreprise familiale en s’occupant des affaires des Guillaume Ier de Hesse-Cassel, James a quitté sa ville de Francfort neuf ans plus tôt. Sa mission ? Créer une filiale de la Maison Rothschild à Paris. A partir de 1814, il participe avec sa famille au financement de l’effort de guerre de la coalition emmenée par la Grande-Bretagne contre Napoléon. Une fois la guerre terminée, il lui faudra tout son entregent diplomatique pour parvenir à retrouver les faveurs du gouvernement français en courtisant le duc de Richelieu. Il s’impose alors rapidement dans les milieux financiers.

Un banquier puissant
« Pendant un demi-siècle, de la Restauration au second Empire, James vient en aide aux différents gouvernements au moyen de prêts, d’emprunts, de rentes et obligations », explique Claude Collard, commissaire de l’exposition et directrice du département philosophie, histoire et sciences de l’homme de la BnF. C’est désormais un banquier puissant estimé par les souverains, les hommes politiques et les artistes de son temps. Aux côtés des Laffitte, des Pereire et des Camondo, il fut l’un des principaux acteurs de la modernisation de la société française et de son expansion économique. Entreprenant, il joue un rôle majeur dans le développement du réseau des chemins de fer français en créant la Compagnie des chemins de fer du Nord et en participant au développement des compagnies Paris-Orléans et Paris-Lyon-Méditerranée. C’est à lui que l’on doit la conception et la création de la gare du Nord à Paris. « Les dépenses cumulées des chemins de fer passent d’un peu plus de 1 milliard de francs en 1852 à plus de 7 milliards en 1869. Jamais encore des entreprises n’avaient levé de tels fonds auprès du public.

La haute banque parisienne est étroitement liée à cette aventure », explique Youssef Cassis, professeur d’histoire économique à l’Institut universitaire européen de Florence. James de Rothschild s’implique également dans de multiples activités commerciales (coton aux États-Unis, cigares à Cuba) et investit dans l’exploitation des minerais et des métaux. « L’argent est le Dieu de notre temps et Rothschild est son prophète », déclare alors le poète Heinrich Heine. En 1824, il épouse sa nièce Betty. Nez aquilin, grands yeux en amande et pommettes saillantes, Betty de Rothschild est la fille de Salomon, son frère. Son portrait peint par George Henry Harlow accroché dans la galerie Mansart est moins émouvant que celui réalisé par Ingres en 1848, malheureusement absent de l’exposition. À Paris, James et Betty de Rothschild tiennent salon quatre soirs par semaine et organisent un bal tous les samedis soirs dans leur hôtel particulier rue Laffitte, où l’on croise les plus grandes figures des arts et des lettres : Delacroix, Balzac, Berlioz, Rossini et Chopin. Plus tard dans les années 1850, James fera construire un château, en Seine et Marne, sur un domaine acheté aux héritiers de Fouché. Le château de Ferrières, décrit par Napoléon III comme « un château des Mille et Une Nuits », sera le théâtre de magnifiques réceptions de chasse.

Un personnage de roman
Progressant de manière chronologique, l’exposition réunit près de deux cents pièces évoquant tant les activités bancaires et industrielles des Rothschild que leur mode de vie à travers leurs hôtels particuliers, châteaux, œuvres d’art et grands crus bordelais. Agréablement mises en scène dans des salles peintes de couleurs vives – vert, ocre et jaune bouton-d’or – les pièces proviennent des collections des archives Rothschild conservées à Londres et des Archives nationales du monde du travail de Roubaix. Elles s’accompagnent d’œuvres léguées par la Famille Rothschild à de grands musées et institutions français. Ainsi de cette charmante laitière peinte par Greuze en 1783 et aujourd’hui conservée au Musée du Louvre. La Laitière est le premier tableau acquis par James en 1821. À sa mort en 1868, sa collection rassemblera soixante-cinq tableaux de grands maîtres dont une quarantaine d’écoles hollandaises et flamandes.

Homme le plus riche de Paris, banquier des rois et roi des banquiers, James de Rothschild deviendra vite un personnage de roman. Des historiens ont cru reconnaître le Grand baron derrière le personnage de François Leuwen, le père du héros dépeint par Stendhal dans Lucien Leuwen. Il aurait également servi de modèle à Zola dans L’Argent et à Balzac dans La Maison Nucingen.

Collectionneurs, les Rothschild furent aussi de grands philanthropes. On leur doit notamment l’organisation de nombreuses ventes de charité, le financement et la construction de l’hôpital de la rue Picpus, et celui de Berck-sur-Mer. On regrettera que cette brillante fresque en l’honneur du génie et des bonnes œuvres de James de Rothschild ne laisse rien entrevoir des heurts et malheurs induits par la Haute banque en accompagnant la transformation d’un monde aristocratique et rural en une société bourgeoise et industrielle. « Pour la première fois dans l’histoire du monde, l’argent est maître sans limitation ni mesure, écrivait quelques décennies plus tard Charles Péguy, au début du XXe siècle. […] L’instrument est devenu la matière et l’objet et le monde. […] De là est venue cette immense prostitution du monde moderne ».

Les Rothschild en France au XIXe siècle

Jusqu’au 10 février 2013, BnF/Richelieu. 5, rue Vivienne, 75002 Paris, tél. 0 892 684 694, mardi-samedi 10h-19h, dimanche 12h-19h

Voir la fiche de l'exposition : Les Rothschild

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°380 du 30 novembre 2012, avec le titre suivant : Les grandes heures de James de Rothschild

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