Musée

Dominique Szymusiak - Conservatrice en chef du Musée départemental Matisse, Le Cateau-Cambrésis

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 13 novembre 2012 - 1851 mots

Quittant ce mois-ci ses fonctions, Dominique Szymusiak aura été en charge pendant plus de trente ans du musée créé par Matisse dans sa ville natale, n’ayant de cesse d’enrichir sa collection et d’agrandir les espaces.

Le Journal des Arts, une fois n’est pas coutume, manque à la galanterie. Le 29 novembre, Dominique Szymusiak aura 65 ans. Le même jour, selon une tradition administrative qui fait un peu grimacer la dame aux yeux gris vert et au rire tonitruant, elle doit déménager le bureau qu’elle occupe depuis trente ans au Cateau-Cambrésis (Nord), à quelques kilomètres de la frontière belge. Avec le sentiment d’une mission accomplie : dans cette commune mal desservie, qui n’atteint pas 7 000 habitants, elle laisse autour d’une collection de Matisse un musée d’envergure internationale, qui reçoit 70 000 visiteurs dans l’année.

L’aventure que va personnifier Dominique Szymusiak commence avec Henri Matisse lui-même, quand, en 1951, le vieux peintre, auquel il reste trois ans à vivre, reçoit à Paris un quatuor de notables venus de sa cité natale. Un pharmacien, un pâtissier, un architecte et un juge de paix se sont associés pour lui demander de signer des lithographies destinées à être affichées dans l’hôtel de ville. L’artiste a une autre idée en tête : leur offrir des œuvres. Il n’est alors pas très heureux du sort réservé à sa donation effectuée à la Ville de Nice, enfouie dans des coffres. L’année suivante, celle de ses 82 ans, Matisse organise le don de 82 pièces : cinq sculptures, deux peintures, trente-huit dessins, vingt-sept gravures, des livres et des photographies… disposés dans le salon d’honneur de la mairie selon ses indications. Inspiré par ce geste, en 1956, un autre natif du Cambrésis, Auguste Herbin, maître passé du futurisme à l’abstraction géométrique auquel le musée rend hommage en ce moment (lire p. 10), donne vingt-quatre de ses toiles qui se retrouveront accrochées dans la salle des mariages. Ce fonds depuis a presque été triplé, pour devenir le plus riche consacré à cet artiste, Dominique Szymusiak ayant entre autres réussi à acheter le piano peint dans les années 1920 pour l’Aubette à Strasbourg.

Bûcheuse infatigable
Quand, âgée de 33 ans, elle prend en charge cette collection, la jeune femme a essentiellement travaillé au château de Blois (Loir-et-Cher) et pour la réception des publics à Lille. « Je ne connaissais pas grand-chose à tout cela. On était loin de l’allégorie flamande ou du paysage hollandais de Lille, raconte-t-elle aujourd’hui. À vrai dire, je cherchais, je ne savais trop ce que je faisais dans cet endroit bizarre » qui portait difficilement le nom de musée. Les visites se limitaient à un total de trois heures par semaine, assurées par le pâtissier, le premier conservateur. Dominique Szymusiak rencontre l’administration Matisse, va voir Pierre Schneider, écrivain, critique et auteur d’une somme sur le peintre ; bûcheuse infatigable (« je suis une vraie bête de somme »), elle se plonge dans l’histoire et l’œuvre, mais elle tourne en rond aussi.

Une trentaine d’années après les donations, l’état de la collection n’est alors pas reluisant. La famille Matisse n’est guère contente : « On s’est fait engueuler », rapporte la directrice du musée. Mais elle va tout faire pour trouver des solutions, emportée par « sa passion : mettre en relation les gens et les œuvres ». Dans le milieu des conservateurs, elle qui avoue « écrire avec bonheur, mais aussi beaucoup de souffrance », détonne en affichant sa profession de foi : « la peinture donne du bonheur ». Il est vrai que sa formation diffère. Fille d’un notaire érudit de Vendôme, ayant surmonté un passage violent dans une pension religieuse, bachelière un peu tardive, elle a décroché une licence de philosophie et d’anglais, suivi une filière d’animation culturelle à l’IUT de Tours, bifurqué vers l’histoire et l’art à la faculté de la ville.

Née et grandie en bords de Loire, elle est un peu effrayée avant d’arriver dans ce pays de corons. Le grand basculement procède de sa rencontre avec une personnalité socialiste. Élu en 1977 à la mairie de Cateau-Cambrésis, Roland Grimaldi propose de déménager les tableaux dans le palais voisin des archevêques de Cambrai. Sans doute, même s’il ne figure pas nécessairement à son curriculum vitae officiel, le passé de cheftaine de louveteaux ou même de monitrice de ski de Dominique Szymusiak lui aura alors été utile. En 1982, elle ouvre 900 mètres carrés de surface d’exposition dans le palais Fénelon, en se concentrant exclusivement sur les deux collections fondatrices. « Le maire était un homme courageux », souligne la cheftaine dont les coups de gueule sont toujours redoutés dans les couloirs. L’édile prend cette initiative visionnaire de consacrer une large part du budget à la culture, alors que le textile est frappé de plein fouet. Les établissements Seydoux ferment leurs entreprises les unes après les autres. « Les gens défilaient dans la rue avec des panneaux : « On veut des usines, pas des musées. » La population ne voyait pas bien l’intérêt et le maire a été battu aux élections », rappelle Jean-Pierre Roquet, président de l’association des amis du musée. Le nouveau maire, Jean-Pierre Labouré (UDF), se dit prêt à s’en débarrasser pour un franc symbolique. La conservatrice a gardé un souvenir pénible de ces six années de conflit incessant. Corps de fonceuse et voix de stentor, elle sort les sacs de sable, va trouver appui auprès du préfet et du conseil général. « Finalement, les habitants se sont montrés fiers de notre musée », résume-t-elle. En 1989, Roland Grimaldi est à nouveau élu. Un agrandissement est projeté, qui va ouvrir un chantier de cinq ans. Mais Dominique Szymusiak a tiré la leçon : elle pose comme condition une départementalisation de l’institution, qu’elle obtient en 1992 auprès de Bernard Derosier (PS), président du conseil général du Nord. Aguerrie, elle devient un animal politique incontournable dans la région. Elle fait le siège de la SNCF pour obtenir un arrêt du train sur la ligne de Paris, au moins pendant le week-end. Elle décroche des crédits pour des expositions de qualité et l’enrichissement des collections. Elle rode la formule auprès des élus : « Un Matisse, c’est le prix d’un rond-point, mais c’est beaucoup plus beau ! et vous en tirerez beaucoup plus de prestige. » Elle parvient ainsi à acquérir la belle Femme à la gandoura bleue (1951) et une vue de Collioure de 1905.

Dominique Szymusiak essuie parfois le reproche de s’affranchir de la rigueur des comptes. « Un jour, la Région a même parlé de lui adresser un blâme, se souvient Jean-Pierre Roquet. Je suis allé leur dire : « Vous êtes fous ! vous voulez que les habitants défilent dans la rue ? elle est d’une intégrité à toute épreuve ! » » Personne n’a bougé, il s’en amuse encore : « De toute manière, en dépassant des budgets, n’était-elle pas dans son rôle ? »…

Un modèle de conservateur
Dans le même temps, d’autres donations viennent des enfants Matisse, dont elle a su gagner l’estime. « J’ai été très aidée par la famille, qui a bien voulu mettre des peintures, atteignant un tel prix, à la disposition de tous, ici, un peu au bout du monde. » En 1990, quatre plâtres originaux des reliefs de la série « Nu de dos » rejoignent ainsi la collection. Cinq ans plus tard, Henri Cartier-Bresson (qui lui aussi figurera parmi les donateurs) emmène la veuve du grand éditeur d’art Tériade au Cateau, à l’occasion d’une exposition consacrée à ses vues de Matisse et de son atelier. Charmée par cette rencontre, Alice Tériade fait en 2000 un premier don de 500 gravures ainsi que des 27 livres illustrés édités par son époux, parmi lesquels Jazz (1947) de Matisse. Après sa mort, en 2007, le musée reçoit 39 Picasso, Léger, Rouault, Chagall et Matisse naturellement – dont un vitrail –, œuvres en provenance de la villa Natacha que le couple occupait sur la Côte d’Azur. C’est d’Alice Tériade que viennent ainsi des sculptures rarissimes de Miró ou de Giacometti, disposées dans les galeries ou le jardin.
« Nous pouvions jouer dans la cour des grands », et la directrice ne s’en est pas privée en multipliant les expositions, au rythme de trois chaque année. Dominique Szymusiak a également tenu à ouvrir les portes de son musée à l’art vivant. « C’est un plaisir que d’exposer chez elle », estime Christian Bonnefoi, qui y a exposé ses « Dos » l’été dernier. Il la voit comme « un modèle parmi les conservateurs », toujours prête à « défendre les créateurs français », capable d’accrocher une centaine de pièces d’un même artiste, dotée d’une « détermination radicale » pour faire aboutir ses projets.

« C’est incroyable, quand on y pense, de voir venir ici des Pollock, des Rothko et des Mondrian pour une exposition sur l’abstraction ! », s’exclame Jean-Pierre Roquet. Des tableaux du Museum of Modern Art (MoMA) de New York, de Russie ou de Chicago, une coproduction avec le MoMA et la Royal Academy de Londres. Elle prend soin de tisser des liens avec le Musée Matisse de Nice (installé finalement depuis 1963), se disant « grande amie » de sa directrice, Marie-Thérèse Pulvénis de Séligny. « Nous nous entraidons constamment, pour les expositions ou les acquisitions, nous cherchons à trouver ce qui va aider l’autre. » Elle a aussi cédé à la mode des expositions montées à Taïwan, à Hongkong ou en Corée. En même temps, assure le président de la société des amis, « cette femme très généreuse a su montrer toujours une grande sensibilité à la pauvreté, toujours prête à ouvrir les portes du musée aux déclassés ». À son arrivée, « la misère était très présente dans le Cambrésis », souligne Jean-Pierre Roquet, lui-même très engagé dans l’action humanitaire. « Aujourd’hui, si la brasserie a rouvert dans le bourg, c’est bien grâce aux visiteurs. Le Nord compte désormais cinquante musées, le Louvre est en passe de s’installer à Lens, c’est grâce à la culture que le pays peut revivre. »

Désormais, Dominique Szymusiak parle de tenir des conférences, de reprendre le piano, d’une maison en Bretagne (elle ne collectionne pas : cela ne l’intéresse pas de « transformer sa maison en musée »). Elle s’étonne qu’on puisse songer à un portrait d’elle, puisque ceux qui comptent, ce sont les artistes. « Matisse est devenu l’artiste de ma vie, celui qui m’apporte la paix et le bonheur. Vous entrez dans Matisse, vous êtes envoûtés. » Elle est heureuse d’avoir fait du palais « un univers de beauté et d’équilibre ». « La richesse de ce musée, c’est elle », tranche Jean-Pierre Roquet. Ce qui laisse ouverte la question de la transition, alors que son poste a été confié à une jeune Californienne, Carrie Pilto, menue et discrète, qui a tout l’air d’être son contraire.

Dominique Szymusiak en dates

1947 Naissance à Vendôme le 29 novembre.

1980 Direction du Musée Matisse au Cateau-Cambrésis (Nord).

1982 Installation du musée au palais Fénelon.

2002 Réouverture du musée, après cinq années de chantier.

2012 Exposition « Auguste Herbin » ; départ à la retraite.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°379 du 16 novembre 2012, avec le titre suivant : Dominique Szymusiak - Conservatrice en chef du Musée départemental Matisse, Le Cateau-Cambrésis

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