Droit

Préemption : un droit absolu

Par Hélène Brunel · Le Journal des Arts

Le 13 novembre 2012 - 502 mots

Le patrimoine culturel prime sur la propriété privée et les dispositions communautaires, en droit et en fait.

PARIS - Le 31 juillet 2012, la cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur la question d’une possible conciliation entre protection du droit de propriété d’un particulier et exercice du droit de préemption de l’État, dans une affaire dont les faits remontaient à 2007. Un collectionneur ayant fait l’acquisition aux enchères d’une « figure à crochets Yipwon » au prix de 272 624 euros demandait en justice l’annulation de la décision du ministre de la Culture d’exercer le droit de préemption de l’État. La mise en œuvre de ce droit impliquait que la puissance publique se trouve subrogée à l’adjudicataire dans le cadre de la vente de cette œuvre d’art. Le tribunal administratif de Paris avait rejeté cette requête le 28 janvier 2010 au bénéfice de l’intérêt général et des collections nationales, celles du Musée du quai Branly en l’occurrence. La cour administrative d’appel a confirmé ce premier jugement.

La décision de préemption, parce qu’elle a pour « objectif d’enrichir les collections nationales de biens de grande valeur afin de les exposer, de permettre au public d’en bénéficier et de renforcer le patrimoine culturel de l’État, est constitutive d’une mesure prise dans l’intérêt général et ne peut être regardée comme ayant fait supporter à l’intéressé une charge spéciale et exorbitante », a-t-il été jugé en appel. En effet, la cour considère que la procédure du droit de préemption, définie à l’article L. 123-1 du Code du patrimoine, garantit les droits de l’adjudicataire, dès lors que l’État a l’obligation de réitérer sa volonté dans un délai raisonnable de quinze jours. En l’espèce, l’intention de préemption avait été annoncée au cours de la vente, puis actée par une lettre du ministre de la Culture adressée à la maison de ventes Sotheby’s. Le requérant n’est donc pas resté longtemps dans l’incertitude de sa propriété.

Plus largement, la cour va ensuite estimer que la décision de préemption, tout comme les règles régissant ce droit, sont strictement nécessaires pour permettre la protection des trésors nationaux. Après avoir qualifié juridiquement la sculpture litigieuse de « trésor national » au sens de l’article L. 111-1 du Code du patrimoine, cette dernière conclut au respect des articles 28, 29 et 30 du Traité instituant la Communauté européenne. « Les dispositions des articles 28 et 29 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d’importation, d’exportation ou de transit, justifiées par des raisons […] de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique […]. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres. » La protection d’un trésor national « ayant une valeur artistique, historique ou archéologique » constitue ainsi une exception au principe européen de libre circulation, autant qu’à la propriété française. Voilà ce que rappelle cette jurisprudence, à partir d’un objet originellement destiné à favoriser la chasse et les récoltes en Nouvelle-Guinée.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°379 du 16 novembre 2012, avec le titre suivant : Un droit absolu

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