La chronique d'Emmanuel Fessy - L’art de donner

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 30 octobre 2012 - 475 mots

La donation Michael Werner manifeste avec noblesse ce que peut signifier un tel acte, d’abord généreux au sens plein du terme.

Donner n’est pas prêter, car, en particulier pour des artistes « émergents », prêter pour une exposition temporaire peut signifier investir en espérant bénéficier d’un renchérissement de la cote de l’artiste. Au regard de la scène française, ce don n’est pas lié aux contreparties fiscales dont jouissent des héritiers « remettant en dation » ou des mécènes contribuant à l’acquisition de trésors nationaux, parfois bien gourmands en retombées médiatiques. Certes, le donateur allemand n’aurait pu bénéficier de la législation française, mais qu’un marchand donne amplement à son propre pays est déjà rare. Yvon Lambert l’a fait récemment pour Avignon, Heinz Berggruen pour Berlin, Anthony d’Offay a cédé des œuvres pour un prix minima au Royaume-Uni. Mais, qu’un marchand donne à un autre pays que le sien est exceptionnel. Homme de caractère, Werner a souvent reproché aux institutions allemandes de négliger peintres et sculpteurs d’après guerre pour lesquels il s’est battu. Singulier encore, Werner n’a pas imposé les conditions habituelles de beaucoup de donateurs, américains en particulier : exiger une salle portant son nom – la gloire d’un musée dans le musée – ni une présence permanente de son don dans l’accrochage. Les héritiers y veillent alors scrupuleusement, dans le respect de leur aïeul ou dans l’espoir de faire casser l’acte pour remettre les œuvres sur le marché. Werner a souhaité qu’une exposition de neuf cents œuvres de sa collection soit présentée au Musée d’art moderne de la Ville de Paris (jusqu’au 3 mars) et a laissé son directeur, Fabrice Hergott, choisir les 127 œuvres qui seront données, avec une seule directive : pas d’éparpillement, mais plutôt des ensembles. De telle sorte, le marchand pouvait poursuivre sa mission : défendre sa vision de l’art en bousculant la collection parisienne et inscrire ses artistes dans la connaissance des Français. Ainsi, le musée nous offrira l’an prochain un nouvel accrochage de sa collection, intégrant les singularités Werner au fil de ses cimaises. Singularités car, comme l’exposition actuelle le montre, Werner a rassemblé beaucoup d’œuvres « atypiques » qui élargissent le regard sur une époque ou sur un artiste. Lisons l’ouvrage de Donatien Grau Le dernier château, Sur la donation Michael Werner (1) pour comprendre les multiples ressorts de cette « collection de vie ».

Évidemment, d’autres institutions internationales étaient sur les rangs. Fabrice Hergott connaît Michael Werner depuis trente ans et quatre années de discussion ont été nécessaires pour conclure. Alors que le budget d’acquisition des musées est à nouveau amputé, il ne faut pas qu’une logique événementielle, des impératifs de gestion et d’évaluation détournent les conservateurs de cette mission : nouer de longues et confiantes relations.

Notes

(1) Donatien Grau, Le dernier château, Sur la donation Michael Werner, Manuella Éditions, 112 p., 12 €, ISBN 978-2-917 217-33-7

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°378 du 2 novembre 2012, avec le titre suivant : La chronique d'Emmanuel Fessy - L’art de donner

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