Monumenta

Beuys, Kiefer et Ropac tout-puissants

Par Alain Quemin · Le Journal des Arts

Le 30 octobre 2012 - 825 mots

Les œuvres monumentales d’Anselm Kiefer et de Joseph Beuys ouvrent le bal des ambitions de la Galerie Thaddaeus Ropac à Pantin.

PARIS/PANTIN - À l’occasion de l’ouverture de sa nouvelle galerie de Pantin, Thaddaeus Ropac consacre une double exposition inaugurale exceptionnelle à deux artistes stars de l’art contemporain
L’ouverture de ce second espace en région parisienne, constitue un événement, tant par l’étendue du lieu, pharaonique, que par les deux expositions présentées.

Si la galerie de la rue Debelleyme, dans le quartier du Marais, était déjà l’une des plus vastes de Paris – et sans doute la plus belle par ses volumes et l’aménagement de ses espaces –, le nouveau site de Pantin lui offre un prolongement impressionnant : pas moins de 4 700 mètres carrés (dont 2 000 mètres carrés d’exposition), parmi lesquels un magnifique bâtiment central composé de quatre nefs baignées par un éclairage zénithal, l’espace pouvant aisément accueillir les pièces les plus monumentales. C’est d’ailleurs ce que la galerie a mis en avant pour son exposition inaugurale consacrée, dans ce vaste bâtiment, à l’artiste allemand (installé en France depuis de nombreuses années) Anselm Kiefer, dont le travail est proprement à la démesure du lieu.

Son exposition « Die Ungeborenen » (« les non-nés ») présente une débauche de sculptures, de très grand format pour la plupart, côtoyées notamment par des toiles, dont beaucoup sont immenses – nous passerons ici sur les plus petites œuvres de l’entrée, présentées sous verre, et qui apparaissent largement anecdotiques. C’est bien dans les immenses formats que Kiefer fait le mieux la preuve de toute sa puissance créatrice, que les toiles restent planes (pour autant que ce qualificatif ait encore un sens quand sont travaillées de telles épaisseurs de pigments) ou que la surface de certaines œuvres soit agrémentée, selon la technique des « combine paintings », d’objets parfois volumineux comme des chaises qui demandent de vastes espaces pour leur présentation. Des sculptures monumentales donc, dans le plus pur style d’Anselm Kiefer, des toiles qui, elles aussi, témoignent, une fois encore, de l’art impressionnant du maître. L’influence de cet autre peintre immigré installé en France que fut Van Gogh est manifeste, que ce soit à travers les tournesols géants de certaines sculptures ou dans certains tableaux figurant ou suggérant des paysages au trait nerveux, tourmenté même. Mais un Van Gogh proprement désespéré, marqué par le romantisme et l’expressionnisme. Les toiles qui évoquent des marines appellent également certains tableaux de Courbet ou de Monet.

Bien plus que chez ces prédécesseurs, avec Kiefer, la violence du geste s’inscrit dans la pâte recouvrant les toiles en d’épaisses couches, l’artiste livrant finalement au regard ce qui résulte d’un véritable combat avec la matière car, si le travail sur les couleurs est parfois très audacieux – comme dans une de ses immenses toiles, « Mutterkorn » qui introduit des pigments dorés –, si les effets de lumière sont souvent saisissants, c’est le travail de la matière même qui reste le plus phénoménal et le plus. Il faut se rendre à Pantin pour constater qu’avec lui, la peinture est incontestablement bien vivante, elle triomphe même, se présente en majesté.

Place au spectaculaire
Un autre bâtiment accueille la seconde exposition inaugurale de l’espace de Pantin, consacrée à Joseph Beuys, l’une des figures tutélaires de l’art contemporain, et à son œuvre « Iphigénie » issue de sa performance Titus/Iphigénie de 1969. L’espace est de dimensions certes plus réduites mais accueille néanmoins un cheval vivant ( !) faisant référence à la performance passée, ainsi que des objets qui s’y rapportent. L’ensemble, bien qu’historique et de très belle facture, n’atteint pourtant pas les sommets de l’exposition organisée simultanément par la galerie Thaddeus Ropac en son espace du Marais, « Hirschdenkmäler » (« Monuments au cerf »), autour d’une pièce majeure de Joseph Beuys, là encore, et qui vient directement d’Eva Beuys.

L’immense salle du rez-de-chaussée y accueille l’une des plus formidables installations de Beuys, composée notamment d’éléments épars constitués de métal rouillé et d’argile dont les formes oscillent entre membres déchiquetés et excréments. Ici règnent les tons sourds des éléments en bois, en terre ou en métal, comme dans le socle figurant un fragment de construction qui complète l’installation et qui semble avoir été rongé par le feu. Les autres salles de la galerie sont consacrées à des dessins et objets dont plusieurs sont excellents et qui, souvent très « typés Beuys », ne manqueront pas de séduire les collectionneurs. Comme souvent dans les expositions en galerie atteignant pareil niveau, toutes les pièces ne sont pas à vendre. Certes proposées dans un cadre commercial, ces présentations, par leur mise en scène et par la qualité des pièces rassemblées, se rapprochent des meilleures expositions en musées.

Anselm Kiefer, Die Ungeborenen et Joseph Beuys, Iphigenie

Galerie Thaddaeus Ropac, jusqu’au 27 janvier 2013, 69, avenue du Général Leclerc, 93 500 Pantin, mardi-samedi 10h-19h, tel. 01 55 89 01 10, et 7, rue Debelleyme, 75003 Paris, mardi-samedi 10h-19h, tel. 01 42 72 99 00, www.ropac.net

Joseph Beuys, Iphigénie (à Pantin) et Hirschdenkmäler (dans le Marais)
- Nombre d’œuvres : 28 à Pantin et 81 dans le Marais
- Prix : dessins de 20 000 à 60 000 € et sculptures de 300 000 à 3 millions d’€

Anselm Kiefer
- Nombre d’œuvres : 26
- Prix : de 300 000 à 1,2 million d’€

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°378 du 2 novembre 2012, avec le titre suivant : Beuys, Kiefer et Ropac tout-puissants

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque