Paroles d’artiste - Doug Aitken

« Altered Earth est une étude des structures de la perception »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 29 octobre 2012 - 760 mots

À l’invitation de la Fondation Luma, Doug Aitken propose avec Altered Earth et ses douze écrans répartis dans la grande halle du Parc des Ateliers d’Arles, une relecture tranchante et presque hypnotique du paysage de la Camargue.

Frédéric Bonnet : Qu’est-ce qui a particulièrement attiré votre attention dans le paysage camarguais ?
Doug Aitken : Je crois avoir été capturé d’une certaine manière, car il y a quelque chose de très rude dans ce paysage. J’ai été très intéressé par la cohabitation entre les hommes et une nature extrême, qui crée une énergie ou des frictions parfois. Je suis venu ici en premier lieu pour satisfaire ma curiosité, mais à force de revenir encore et encore vous commencez à remarquer des choses, des fragments, des morceaux de paysages… Et je crois que l’œuvre est faite d’une série de fragments. Je n’étais pas intéressé par une histoire linéaire ni par l’idée d’une sorte de structure cinématique avec une introduction et une conclusion. J’ai voulu créer quelque chose avec un continuum, quelque chose à l’intérieur duquel le spectateur puisse entrer et avoir une expérience, découvrir quelque chose de différent.

F.B. : La manière dont vous disposez les écrans provoque une forte immersion du spectateur à l’intérieur de l’installation. Votre intention était-elle là de proposer un nouveau mode de lecture du paysage à travers ce déroulé non linéaire ?
D.A. : Absolument ! Mais l’intention n’était pas de s’adresser seulement aux locaux et familiers de la région mais à tout le monde, car je pense qu’Altered Earth déploie une idée du paysage en général, la manière kaléidoscopique dont nous percevons le monde extérieur. On y trouve une région, une géographie, vue à travers une série de fragments à rassembler, une série de pièces, de cadres, d’images. Je voulais explorer cette vision du paysage et trouver une façon de modifier son architecture d’une certaine manière. Je voulais créer une architecture qui soit fluide, transformative, qui ne soit pas fixe, une architecture qui existerait dans les images en mouvement et le son. Je n’ai pas construit ce projet à travers les seules traditions de fiction et non-fiction, mais plutôt avec l’intention de créer des systèmes qui donnent la possibilité à chaque visiteur de créer sa propre narration.

F.B. : Cette œuvre constitue donc une sorte de narration ouverte ?
D.A. : Je pense qu’il y a des points d’ancrage dans une narration, mais également des espaces entre eux et que tout cela est très ouvert. Si vous imaginez ces paysages qui se plieraient ensemble, de plus en plus, pour finalement créer une structure et une forme, c’est cette approche d’une œuvre en lien avec la terre que j’ai envie d’avoir. J’ai voulu employer le son et les images en mouvement afin d’extraire quelque chose, de créer quelque chose qui soit plus de l’ordre de la fiction.

F.B. : À propos de cette lecture du paysage, diriez-vous que si nous avançons un peu plus, on finit par en générer une vision abstraite ?
D.A. : Cette œuvre est assez abstraite en effet, dans le sens où si vous fixez le regard vous ne verrez plus d’images mais le mouvement de la lumière et de l’architecture, vous verrez des motifs, des répétitions. Il y a de nombreuses structures invisibles sous la surface d’Altered Earth. Je crois que cela vient des systèmes que je peux observer ou écouter en musique. Nous avons pour l’inauguration invité Terry Riley – l’un des créateurs de la musique minimaliste – à jouer. À l’intérieur de son travail, la question de la structure et du motif est très importante, et en cela Altered Earth est aussi une étude des structures de la perception. Il s’y joue quelque chose qui, comme la musique, bouge et change continuellement.

F.B. : Pour en revenir au dispositif, vous élaborez presque comme un labyrinthe d’images, et c’est aussi le cas à l’intérieur de l’image avec la manière dont vous montez vos films. Est-ce pour vous une préoccupation ?
D.A. : Je crois en effet qu’il y a là un territoire qui peut être exploré. J’ai toujours senti une frustration avec la restriction de l’écran et du cinéma. J’utilise un tel projet pour créer une sorte de chorégraphie qui bouge hors de l’écran et permet au contenu de couler hors de celui-ci et de créer son propre système, son propre schéma, son propre rythme. Je souhaitais atteindre la manière dont le contenu peut devenir architectural au lieu d’être simplement encadré dans un rectangle.

DOUG AITKEN. ALTERED EARTH

Jusqu’au 20 novembre, Parc des Ateliers, 24, bvd Victor Hugo, 13 200 Arles, www.doug-aitken-arles.com/luma.html, tlj 13h-18h30, samedi-dimanche 11h-18h30

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°378 du 2 novembre 2012, avec le titre suivant : Paroles d’artiste - Doug Aitken

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