Les réformes délient les plumes

Plusieurs ouvrages analysent le marché de l’art et ses évolutions récentes

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 9 novembre 2001 - 1702 mots

Enfin connu le détail de la réforme des ventes volontaires, et largement amorcé celle des musées, plusieurs ouvrages récents explorent le nouveau panorama.

Droit, œuvres d’art et musées de Marie Cornu et Nathalie Mallet-Poujol au CNRS-Droit, Ventes d’œuvres d’art de François Duret-Robert chez Dalloz. Auxquels il faut ajouter L’Art et la gestion du patrimoine de Fabien Bouglé aux éditions de Verneuil et le Code des ventes volontaires aux enchères, publié par le Serveur judiciaire, accompagné d’une importante promotion par Artprice.com. C’est l’œuvre d’un collectif d’auteurs dont les parlementaires français assurent la plus grosse contribution, suivie de celle du sociologue Alain Quemin. Inventaire de cette rentrée littéraire du marché de l’art.

François Duret-Robert
La mémoire du marché

Juriste devenu journaliste, François Duret-Robert observe le marché depuis plus de trente ans. Juriste, il a connu la plupart des affaires judiciaires illustrant souvent les déviances du marché. Journaliste, il les relate en relevant les détails piquants de l’anecdote. En 1984, il était l’un des principaux rédacteurs d’un dossier du Canard Enchaîné, Les Milliards de l’art dont les mauvaises langues insinuèrent que les commissaires-priseurs avaient fait rafler tous les exemplaires en kiosque, tant les vérités qu’il contenait pouvaient blesser leur susceptibilité ministérielle. Chez Dalloz, évidemment, le ton est plus grave et l’anecdote moins troussée. Le juriste a repris le dessus. En contrepartie, l’auteur a mis sa mémoire au service de l’exhaustivité. On trouve donc traité tout, ou presque tout, sur les subtilités juridiques des ventes d’œuvres d’art. Pour ratisser au plus fin la question, François Duret-Robert croise l’analyse des transactions par nature (ventes aux enchères, ventes de gré à gré) jusqu’aux règles fiscales applicables, par opérateurs (commissaires-priseurs, marchands, experts et les désormais incontournables artistes et leurs ayants droit), enfin, par type de difficultés (authenticité et nullité pour erreur, responsabilité civile des professionnels, prescription des actions, etc.). Afin d’installer l’ouvrage comme référence, l’auteur y a inclus, outre le sommaire et le lexique des abréviations d’usage dans les livres de droit, une table des matières très détaillée, un référentiel de jurisprudence, utilement développé en annexe de courts sommaires des décisions, un index thématique et les textes législatifs et réglementaires de la réforme. Un manque toutefois : la bibliographie. Pour les lecteurs paresseux ou allergiques aux questions juridiques, chaque thème est sommé d’un chapeau synthétique : le « ce qu’il faut retenir ». Interactif ce Duret-Robert ! N’est-il pas ?

- François Duret-Robert, Ventes d’œuvres d’art, Dalloz référence, 2001, 287 p., ISBN 2-24 7033-71-7

Marie Cornu et Nathalie Mallet-Poujol
De sémillantes scientifiques
 
La démarche des auteurs part des préoccupations des musées. Mais loin de confiner leurs analyses au milieu réputé fermé de la conservation, elles l’étendent à la société civile, ce qui donne un relief saisissant à certaines questions. Car on découvre que le point de vue des musées, qui se manifeste dans l’articulation de l’ouvrage, « Conserver » – « Exposer » – « Valoriser », est finalement très proche des préoccupations des collectionneurs et des professionnels.

Dans ce sens, le livre publié par le CNRS-Droit parait presque, dans son mode de présentation, moins juridique que celui de Duret-Robert. Ce qui l’explique sans doute, c’est un parti pris différent. Les auteurs n’ont pas voulu être exhaustifs, mais ont plutôt cherché à répondre à différentes situations concrètes. Leur analyse s’appuie davantage sur les objectifs de l’action que sur l’inventaire des déviances que règlent les juges.

Ce faisant, elles s’intéressent à des questions moins conflictuelles mais non moins importantes et, en décrivant les voies possibles pour les musées, elles apportent des informations très pertinentes pour les galeristes, marchands, artistes et collectionneurs, experts et restaurateurs.

Après avoir dressé l’inventaire des contentieux, il apparaît qu’ils tenaient plus de l’ignorance des choses ou de l’amateurisme qu’à la violation délibérée du droit. Dans ce sens, tandis que François Duret-Robert détaille ce qu’il ne faut pas faire, Marie Cornu et Nathalie Mallet-Pujol exposent ce qu’il est possible de faire. Dans ces temps de paranoïa, leur livre est une thérapie à la portée de tout le marché. Il est en outre agréable à lire. Sommaire, index, table des matières et bibliographie facilitent la consultation de l’ouvrage.

- Marie Cornu et Nathalie Mallet-Poujol, Droit, œuvres d’art et musées, CNRS-Droit, 2001, 401 p., ISBN : 2-271-05770-1.

Fabien Bouglé
Les financiers à la recherche de transparence

« Acquérir, protéger, transmettre ». Fabien Bouglé sous-titre ainsi son ouvrage sur l’art et la gestion de patrimoine.

D’emblée il en cantonne le propos : il « n’a pas vocation à être un traité théorique, économique, philosophique, sociologique ou historique du marché de l’art. C’est avant tout un guide pratique qui a prétention à rendre transparent un marché qui pour certains peut apparaître particulièrement complexe ». C’est le même thème développé dans la communication de Artprice.com. Il est vrai que les financiers sont depuis longtemps sensibilisés au délit d’initié et que souvent le marché de l’art se présente comme un marché d’initiés.

Le souvenir de la débâcle qui a suivi la spéculation des années 1988-1990 est encore trop cuisant pour que les financiers cèdent à la tentation de l’art placement. C’est sans doute pourquoi Fabien Bouglé renvoie, en fin d’ouvrage – sous l’intitulé « L’organisation du marché de l’art » –, à quelques observations sur les expériences de placement et sous le titre « Économie et évolution du marché de l’art » à de prudentes remarques relayées par un essai de typologie des marchés de l’art.

On peut regretter que Fabien Bouglé n’ait pas examiné le cas de l’UFG dont il dirige le département art. En effet, l’Union française de gestion est l’un des rares établissements qui a réussi à traverser la crise sans mettre la clé sous la porte comme la plupart des établissements financiers qui s’étaient engagés plus ou moins prudemment dans la crise. Et il aurait été intéressant de connaître les arbitrages conseillés par l’UFG à ses clients pendant et après la crise. Le secret professionnel est peut-être la limite de la transparence. Pour ordonner son guide, Fabien Bouglé passe en revue les questions fiscales liées à la circulation ou à la détention d’œuvres d’art, détaille la dation et le mécénat d’entreprise. L’examen du « régime juridique des œuvres d’art » de facture classique développe de façon plus précise les questions d’assurance et des développements sur les fondations et leurs alternatives, associations, sociétés, enfin trust et fiducie, encore inconnus du droit français.

Au total, l’ouvrage montre les facettes multiples du marché. Il comporte une table des matières sommaire, des adresses utiles, un index et une bibliographie.

- Fabien Bouglé, L’Art et la gestion du patrimoine, éditions de Verneuil, 2001, 288 pages,. ISBN 2-906994 -51-0.

Code des ventes volontaires et judiciaires
Une somme de 1 432 pages


En déposant l’intitulé Code des ventes volontaires et judiciaires, la branche édition du Groupe Serveur (Le Serveur judiciaire) affiche son ambition : être le premier fournisseur d’information juridique sur le nouveau PVVF (panorama des ventes volontaires françaises). Pour le devenir, l’ouvrage ne mégote pas. En 1 432 pages préfacées par le sénateur Yann Gaillard, il reprend tout ou presque tout ce qui s’est écrit au Parlement pendant les préparatifs de la loi en le complétant d’une approche sociologique très développée d’Alain Quemin, d’une brève analyse économique du professeur Philippe Chalmin, enfin d’analyses juridiques détaillées de la loi par Christian Borel, avocat, et Gérard Sousi, maître de conférences. L’ensemble est complété d’une notice concernant les ventes judiciaires par Laurence Mauger Vielpeau, d’un appel à la Bourse, « instrument de reconquête » selon R. Thannberger et V. Queffelec, d’informations statistiques sur le marché fournies par Artprice.com et de diverses annexes comportant en particulier l’avis motivé de la Commission de Bruxelles du 10 août 1998, récapitulant ses échanges avec la France depuis la plainte de Sotheby’s en 1992 et menaçant d’ouvrir une procédure d’infraction contre la France, déclenchant ainsi la réforme. Il comprend aussi le statut juridique des commissaires-priseurs dans huit États membres de l’Union et en Suisse et un relevé de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes en matière de liberté d’établissement et de liberté d’exercice, condamnant des restrictions dans les activités de guides touristiques, de reconnaissance de diplômes d’avocat ou d’agents immobiliers, d’exigence de qualification professionnelle de conseil en propriété industrielle.

Rédigé à l’initiative d’un éditeur de bases de données, l’ouvrage en prend la forme massive. Celle d’un recueil d’annexes (plus de 1 000 pages) reproduisant outre la loi de réforme – ainsi que ses préalables et textes d’application – les différents avis et rapports parlementaires établis par le Sénat dans le cours de l’élaboration de la loi.

Classiquement, un code regroupe les textes applicables accompagnés de notes exposant la jurisprudence. Dans le cas de la loi de réforme, la jurisprudence est à venir. En lieu et place, l’éditeur a choisi de rassembler les textes et travaux préparatoires et de les mettre en perspective par les commentaires sociologiques, économiques et juridiques. Comme la loi suscite encore beaucoup de questions et qu’il n’est pas évident que son application respectera strictement les objectifs du législateur, ce récolement fournira un outil de travail précieux à ceux qui mettront en œuvre le dispositif comme à ceux qui le subiront.

C’est ainsi qu’en parcourant l’étude du sociologue Alain Quemin, on comprend pourquoi 400 études de commissaires-priseurs ont pu bloquer pendant près de dix ans la réforme et imposer des choix qui pourraient in fine en bloquer le fonctionnement. Et dans les observations de Gérard Sousi, on découvre que les textes « flirtent » encore avec des pratiques condamnées par la Cour de justice des Communautés européennes. Les professionnels du marché ou du droit auront donc sans doute fréquemment à prendre l’ouvrage en main. Ils le distingueront facilement des autres codes : la jaquette noire tranchera avec les rouges et bleus des éditeurs institutionnels du droit. On comprend que la loi et les règlements d’application ne sont pas la fin, mais le début de la réforme.

- Code des ventes volontaires et judiciaires, éditions Le Serveur judiciaire, 1 432 p., sommaire, bibliographie étoffée (13 p.), table des matières très développée (45 p.), mais pas d’index, 49 euros, ISBN. 2-907129-28-7.

Lire aussi

- Harry Bellet, Le marché de l’art s’écroule demain à 18h30, Nil éditions, 2001.

- Judith Benhamou-Huet, Art Business, le marché de l’art ou l’art du marché, éditions Assouline, ISBN 2-843233-05-4.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°136 du 9 novembre 2001, avec le titre suivant : Les réformes délient les plumes

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