Bilan

Une Biennale revigorée

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 3 octobre 2012 - 1028 mots

Si la XXVIe Biennale des antiquaires ne manquait pas d’allure, les ventes ont été plus inégales. Le XXe fait de plus en plus recette.

PARIS - « Magique », « chic », « élégante », « joyeuse et légère », « luxueuse et raffinée ». Les antiquaires parisiens ont unanimement salué la qualité de la scénographie signée Karl Lagerfeld qui magnifiait la splendeur de la verrière du Grand Palais et restituait l’esprit et le goût parisiens. « Christian Deydier est parvenu à faire revivre l’exception culturelle française, » s’enthousiasme la spécialiste de mobilier XVIIe et XVIIIe Anne-Marie Monin. « On renoue avec les ors et le succès de l’édition 1992 signée Pier-Luigi Pizzi », ajoute de son côté l’antiquaire Alexis Bordes, installé à l’étage du Grand palais, dans le Salon d’honneur.

Les premiers feux ont été tirés dès le dîner de gala qui a réuni « 1 400 invités dont 800 étrangers », insiste Christian Deydier, le président du Syndicat national des antiquaires, grand ordonnateur de la manifestation. « Les personnalités les plus riches de la planète étaient toutes là », susurre l’air guilleret Cheska Vallois. Mais, aucun ministre, à l’exception de Laurent Fabius « invité à titre personnel à la table du décorateur François-Joseph Graf », précise une consœur. « Le prix du dîner s’élevant à 1 000 euros par personne, et les ministres ayant signé une charte ne les autorisant pas à recevoir de cadeau d’une valeur supérieure à 150 euros, aucun ministre du gouvernement actuel ne pourra vraisemblablement assister au dîner de gala », avait annoncé dès juillet le président du Syndicat national des antiquaires dans une lettre adressée à ses confrères. Fait nouveau, on observait dans cet aréopage glamour, la présence d’Asiatiques, de Russes, de Turcs et d’Ukrainiens ; et de nombreuses Chinoises qui ont littéralement dévalisé, lors du vernissage, les stands de haute joaillerie.

Les fastes de la joaillerie
De mémoire de visiteur, on n’avait jamais vu autant de bijoux exposés à la Biennale. Dix exposants – au lieu de sept en 2010 – fiers comme Artaban, au milieu de leurs stands spacieux répartis en demi-cercle aux quatre coins de la Nef autour des antiquaires. Van Cleef & Arpels, Chaumet, Boucheron, Bulgari. Toute la place Vendôme avait répondu présent, mais aussi Cartier, Chanel, Dior, Harry Winston et Piaget appuyés par le Chinois Wallace Chan et le New-Yorkais Siegelson. « C’est LVMH et Chanel qui ont pris le pouvoir. C’est un salon qui est de moins en moins fait pour les antiquaires, de moins en moins tourné vers l’art ancien », s’étrangle Patrice Bellanger. « On ne trouve plus de Haute Époque, plus de Louis XIII, ni de Louis XIV », poursuit le spécialiste de sculptures XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles.

La Biennale serait-elle à son tour victime de la tyrannie du « jeunisme » ? Hors du XXe siècle point de salut ? Il était assez piquant de découvrir, au fin fond du stand de la galerie De Jonckheere, grand spécialiste des tableaux flamands des XVe, XVIe et XVIIe siècles, un Fontana, un Calder et un charmant Dubuffet « Vieillard en pleurs », dissimulés derrière une cloison, non loin d’un beau Lucas Cranach le Vieux, d’un petit Guardi et d’une brochette de Pierre Brueghel le Jeune. Même tropisme sur le stand de la galerie Berès. Cette année, les Bonnard, Vuillard et autres artistes avant-gardistes du XIXe siècle ont cédé du terrain à Hantaï, Soulages et Hartung trônant en bonne place sur le stand d’Anisabelle Berès. Le XXe siècle a le vent en poupe. « Nous avons magnifiquement travaillé », déclarait tout sourire Cheska Vallois sur son stand Art déco élégamment décoré par François-Joseph Graf. Sourires également chez Yves Gastou qui a vendu la quasi-totalité de son stand « à des collectionneurs français », précise-t-il, dont un joli meuble-sculpture en métal de Paul Evans parti à 50 000 euros. « Nous avons très bien vendu. Mais, c’est une clientèle très différente de celle de la Fiac », souligne, surpris, François Laffanour dont les meubles de Charlotte Perriand ont fait un tabac.

Satisfaction aussi chez Antoine Laurentin qui a vendu des œuvres sur papier et tableaux du peintre surréaliste anarchiste Georges Papazoff entre 20 000 et 60 000 euros. « C’est rassurant pour l’avenir », insiste le marchand du quai Voltaire qui précise avoir vendu à des Belges, des Allemands, des Britanniques et des Russes, mais pas à des collectionneurs français qui se sont montrés très attentistes. « La grande nouveauté de l’édition 2012, c’est la présence de collectionneur chinois, » indique Franck Prazan en discussion avec un jeune couple asiatique en extase devant un tableau de Zao Wou-Ki. « Le niveau d’affaires a été convenable », précise Patrice Trigano qui accueillait sur son stand de lumineux tableaux de Séraphine de Senlis achetés en 2008 après le succès du film éponyme du réalisateur franco-belge Martin Provost.

Les résultats sont en revanche plus contrastés du côté de la trentaine de marchands réfugiés dans le Salon d’honneur du premier étage du Grand Palais. « Il faut exposer au rez-de-chaussée, dans la nef de la Biennale ou ne pas exposer du tout. Aucune signalétique n’indiquait la présence de nos galeries à l’étage. Nous n’avons pas été véritablement intégrés à la Biennale », s’emporte Aude Lamorelle, responsable de la galerie ALFA spécialisée en dessins des XIXe et XXe siècles, qui a très peu vendu. « C’est formidable de pouvoir exposer à la Biennale des antiquaires, mais les affaires n’ont pas été excellentes », note avec un certain art de la litote, Mathieu Sismann, réfugié dans son petit espace rempli d’une multitude de sculptures et objets d’art du Moyen Âge et de la Renaissance. « C’était une biennale de très haute qualité, rafraîchissante. J’ai vendu une dizaine de pièces à des collectionneurs européens », reconnaît visiblement plus satisfait, Alexis Bordes, sur son petit stand à la scénographie très étudiée. « Il faut construire sa stratégie, appréhender son marché et comprendre ce que l’on va être à même de vendre à telle ou telle occasion », poursuit, le jeune et pédagogue marchand devant un paravent de Paule Ingrand jouxtant une charmante Étude pour trois Bigoudènes de Mathurin Méheut. À bon entendeur.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°376 du 5 octobre 2012, avec le titre suivant : Une Biennale revigorée

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