Paroles d’artiste - Charlotte Moth

« L’idée d’interdisciplinarité est importante pour moi »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 2 octobre 2012 - 748 mots

Avec un dispositif radical – un filtre bleu couvre la vitrine de la galerie Marcelle Alix, à Paris, à l’intérieur de laquelle sont accrochées deux photos noir et blanc et projetés deux films au sous-sol –, Charlotte Moth élabore des images avec une démarche interdisciplinaire.

Frédéric Bonnet : À la fois dans le dispositif de votre exposition et dans vos œuvres elles-mêmes, souhaitiez-vous établir un lien entre photographie, cinéma et sculpture ? Ce lien est-il nécessaire afin de produire des images ?
Charlotte Moth : L’idée de créer une scène est pour moi fondamentale, ce qui m’a donc conduite à reconfigurer la galerie de manière à ce que vous soyez presque immergé dans cet environnement organisé, mis en scène grâce à ce filtre bleu sur la vitrine. L’autre chose est l’idée d’objet, comme dans le cinéma où vous pouvez voir des objets utilisés dans les films par exemple. Or dans les deux films projetés ici, Study for a 16 mm Film et In Unexpected Places, in Unexpected Lights and Colours (a Sculpture Made to be Filmed), j’étudie la relation entre la sculpture et des objets, ce qui établit des parallèles entre les deux. Evidemment je ne suis pas réalisatrice de cinéma, j’ai étudié la sculpture à l’école d’art. Pour moi la relation entre l’image et la sculpture est une position importante à étudier et discuter, et je crois que tout cela contribue à établir un lien entre les objets et la sculpture, l’architecture, l’image. L’idée d’interdisciplinarité est importante car pour moi le plus intéressant est cette hybridation ou ce mouvement entre différents médias et un langage ou un vocabulaire visuel qui peuvent se mettre en place progressivement.

F.B. : Vous intéressez-vous précisément à la question de produire des images ?
C.M. : Ce qui m’intéresse c’est de faire des œuvres, mais évidemment si vous parlez d’interdisciplinarité cela prend plusieurs formes. Par exemple, mon vaste projet Travelogue est une ancienne recherche qui s’est traduite par la production d’images ; mais l’expérience d’être dans un endroit à un moment précis où j’ai pris la photo est peut-être aussi importante que l’image elle-même. Il y a un acte et une réaction. Je dirais que l’image est un produit de cela, je n’envisage pas seulement la question de faire une image.

F.B. : Vous parlez d’hybridation. Comment l’envisagez-vous précisément ?
C.M. : Il y a dans l’exposition une photo intitulée Willa Niespodzianka (Villa Surprise, 2012), qui vient d’une invitation à Otwock, à 20 minutes environ de Varsovie. Il y a là une sorte de cité-jardin établie dans les années 1920 avec une incroyable série de maisons. Je voulais développer un travail en relation avec une maison et j’ai fait un objet, une bannière avec une photo figurant cette maison avant qu’elle ne soit démolie que j’ai installée en face du site de l’édifice détruit ; il s’agit donc d’une image à l’intérieur d’une image. Peut-être est-ce un bon exemple si vous voulez parler d’hybridation, car cela amène conjointement cette idée d’une intervention dans l’espace et d’une manière de travailler qui était une façon de réagir à une situation et un lieu, qui tous deux modifient l’environnement car la maison a disparu. L’autre photo figure un socle vide dans le parc des Buttes-Chaumont, à Paris. Il m’a beaucoup intéressée en tant que forme car j’ai fait beaucoup de recherches sur Brancusi tout en m’interrogeant sur l’usage des socles dans la sculpture.

F.B. : Votre film Study for a 16 mm Film (2012) montre une succession d’objets. Était-ce une manière de constituer une documentation ou une archive à propos de ces objets que vous avez mis en scène ?
C.M. : Pas vraiment, car je pense qu’une archive positionne véritablement quelque chose de manière très stricte et spécifique ; c’est comme lui donner une étiquette. Or je suis très intéressée par le potentiel de changement que peut avoir un objet. L’important est d’observer ces objets que j’aime et de leur donner une condition en observant leur matérialité, leur relation avec l’espace, comment la lumière change les choses ou comment la couleur affecte la manière dont vous les voyez. Je n’avais jamais travaillé avec l’image en mouvement auparavant, et ce film est fait avec une série d’images fixes qui constituent une image en mouvement. De plus ce film est très statique même s’il bouge. Il y a donc là encore une relation intéressante entre film, photographie et sculpture.

CHARLOTTE MOTH. VILLA SURPRISE

Jusqu’au 3 novembre, Galerie Marcelle Alix, 4, rue Jouye-Rouve, 75019 Paris, tél. 09 50 04 16 80, www.marcellealix.com, mercredi-samedi 14h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°376 du 5 octobre 2012, avec le titre suivant : Paroles d’artiste - Charlotte Moth

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