Paroles d'artiste

Mika Rottenberg - « Les choses émergent de façon absurde ou drôle »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 18 septembre 2012 - 780 mots

Entrer dans le monde de Mika Rottenberg (née en 1976 à Buenos Aires) s’apparente à pousser avec bonheur la porte d’un univers fantastique où pourtant tout repose sur le réel.

À la galerie Laurent Godin, à Paris, outre de nouveaux dessins, elle expose sa vidéo Sneeze (2012), dans laquelle des personnages au nez difforme expulsent des steaks ou autres lapins en éternuant. On y trouve également Seven (2012) – réalisé en collaboration avec Jon Kessler –, cabinet contenant des films où un processus scientifique complexe a pour résultat une action absurde.

Frédéric Bonnet : Vos vidéos sont souvent marquées par une forme d’absurdité…
Mika Rottenberg
  : Je ne vois pas nécessairement les choses comme absurdes. Elles ont plutôt trait au réalisme ; la vie réelle est plus absurde que tout ce que je pourrais imaginer.

F.B. : La vie réelle est absurde par certains côtés, mais nombre d’artistes n’en montrent pas cet aspect…
M.R.
  : Je crois vraiment que c’est logique et je suis toujours surprise que les gens me disent le contraire. Pour moi il est tout à fait logique de voir quelqu’un avec un grand nez éternuer un steak comme dans Sneeze. Je pense qu’il y a là une certaine logique entre une cause et un effet qui me fait le sentir véritablement réel et pas nécessairement absurde. Je crois aussi qu’il y a une sorte de légèreté qui crée de l’humour. Ce n’est pas quelque chose que j’essaye de faire sciemment, c’est naturellement la manière avec laquelle je pense aux choses qui émergent de façon absurde ou drôle. Il y a aussi quelque chose de monumental qui s’engage dans mes grandes installations, mais la simple monumentalité serait bien trop lourde, et pour la renverser j’use de l’humour.

F.B. : Quand vous travaillez sur une vidéo, pensez-vous au même moment à une installation ?
M.R.
  : Quand je commence à travailler sur un film, c’est toujours comme essayer de résoudre un problème mathématique. Ce sont donc des questions quotidiennes de développement, parfois sans fin, qui prennent corps dans mon esprit ou à travers le dessin. J’ai besoin de la pression d’une galerie ou d’un musée qui attend quelque chose, sinon j’ai tendance à éviter le problème de « comment y mettre un point final ». Et donc, ce n’est que lorsque l’installation est terminée que je commence à réfléchir à ce qui le servirait le mieux.

F.B. : Vous vous focalisez beaucoup sur l’activité du travail. Est-ce la problématique de sa valeur, de la production de valeur à travers l’activité humaine qui vous intéresse ?
M.R.
  : Je suis fascinée par la question de la production de valeur ; j’essaye presque de tracer la forme de « comment tout cela arrive ». Les jus corporels d’une personne transférés vers des objets sont un moyen de créer de la valeur, mais aussi l’interaction avec le spectateur. Je joue toujours avec cette idée que ce qui crée de la valeur, c’est le mode de vie. Par exemple dans Seven, lorsque quelqu’un téléphone depuis le bureau de New York à celui du Botswana [en Afrique], cela n’a pas de forme, mais un artiste peut créer une forme de ce à quoi ressemble cette ligne. Et puis lorsqu’un carottage est extrait de la terre et découpé puis envoyé quelque part, cela commence à créer un puzzle en trois dimensions. En tant qu’artiste, il est intéressant d’identifier ces formes et d’en faire des travaux visuels.

F.B. : Le corps est important dans votre travail. Le considérez-vous comme un outil pour produire une action, comme un lieu d’action… ?
M.R.
  : J’aime l’idée de lieu, penser au corps en tant que territoire, quelque chose que vous possédez, qui contient votre âme et constitue votre position. Mais cela à trait aussi à ce que signifie être un individu, où cela commence et se termine. Je pense donc le corps comme ce lieu à explorer ; à ce qui le remplit et comment se situer en tant qu’individu.

F.B. : Cela a-t-il à voir avec la question des limites ?
M.R.
  : Oui, si vous transpirez ici et envoyez cette transpiration dans une autre partie du monde, c’est d’une certaine manière une façon de vous étirer à travers le monde. Même si vous passez un coup de fil de New York au Botswana, vous étirez votre voix et votre corps devient presque comme sans limites.

MIKA ROTTENBERG

Jusqu’au 13 octobre, galerie Laurent Godin, 5, rue du Grenier-Saint-Lazare, 75003 Paris, tél. 01 42 71 10 66, www.laurentgodin.com, tlj sauf dimanche-lundi 11h-19h. Mika Rottenberg expose également jusqu’au 29 septembre au Frac Languedoc-Roussillon, 4, rue Rambaud, 34000 Montpellier, tél. 04 99 74 20 35, www.fraclr.org, tlj sauf dimanche-lundi 15h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°375 du 21 septembre 2012, avec le titre suivant : Mika Rottenberg - « Les choses émergent de façon absurde ou drôle »

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