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Rineke Dijkstra sonde les âmes au Guggenheim Museum

Par Alain Quemin · Le Journal des Arts

Le 4 septembre 2012 - 824 mots

L’artiste néerlandaise pose un regard humaniste et plein d’empathie sur ses modèles, souvent des adolescents ou de jeunes adultes dont elle tente de révéler la psychologie.

NEW YORK - Née en 1959, l’artiste néerlandaise Rineke Dijkstra, formée en école des beaux-arts, mais d’abord photographe indépendante de portraits pour la presse, a subi, en 1990, un grave accident de vélo qui l’a conduite à questionner le sens de sa vie et à se tourner vers une pratique désormais artistique. Dans l’exposition que le Musée Guggenheim à New York – conjointement avec le San Francisco Museum of Modern Art – offre à Dijkstra, un petit, mais magnifique autoportrait de 1991 réalisé après une séance de natation de rééducation rend compte de cette phase de sa vie. Cette première exposition d’importance en Amérique du Nord et la plus ample dans un musée à ce jour, constitue une rétrospective de mi-carrière en plus de soixante-dix photographies en couleurs et cinq vidéos.
Si la communication du Musée Guggenheim souligne la parenté entre le travail de Rineke Dijkstra – des portraits en couleurs de grand format, tirés dans un environnement dépouillé ou neutre pour se focaliser davantage sur la personnalité du sujet – et la peinture hollandaise du XVIIe siècle, c’est davantage du côté d’Antonello de Messine ou de Dürer que peuvent être recherchées les filiations les plus riches. Photographe résolument contemporaine, Rineke Dijkstra s’inscrit dans une longue tradition du portrait qui rend compte de la psychologie du modèle, à en percer le mystère. Le regard de la photographe, humaniste et plein d’empathie pour ses sujets, est ici mobilisé pour tenter d’en comprendre l’humeur ou la psychologie. Là où Martin Parr pose un regard grinçant sur ses modèles, Rineke Dijstra se rapproche davantage de la démarche de Larry Clark ; peut-être parce qu’elle s’intéresse comme lui à la jeunesse, grands enfants, adolescents ou jeunes adultes en particulier.

La vérité perçue
L’exposition met en scène plusieurs séries remarquables comme celle des Beach PortraitsPortraits de plage ») de 1992-2002 réalisée sur les côtes de Caroline du Sud, de Pologne ou d’Ukraine. Il y a quelque chose de touchant à voir ces enfants enfermés dans des corps en devenir, frêles silhouettes au sein desquelles ils semblent mal à l’aise, le regard posé par l’artiste invitant souvent le spectateur à revivre, l’espace d’un instant, cette phase de son existence. Difficile, face aux clichés de Rineke Dijkstra, de ne pas se poser la question du sentiment éprouvé par le sujet photographié, ni capter et partager à son tour un sentiment, un ressenti. Si Dijkstra photographie tant la jeunesse, c’est sans doute qu’à cet âge, les stratégies sociales pour se donner une apparence convenable et attendue sont moins maîtrisées, le sujet se donne ainsi davantage à voir. Ce souci d’être au plus près de la vérité humaine a aussi conduit Dijkstra récemment à réaliser des portraits de toréadors ou de femmes venant d’accoucher juste après l’épreuve traversée. Encore sous le coup de l’épuisement, l’artifice n’est plus de mise, la vérité de la personne est invitée à s’exprimer et se donne à voir. D’autres séries fonctionnent sur le principe de la photographie de même sujets à intervalles répétés pendant plusieurs années. La série des portraits d’ Almerisa est ainsi très réussie. D’abord fillette, la réfugiée bosniaque photographiée dans un centre néerlandais de demandeurs d’asile, en 1994, semble tout droit sortie des années 1950 et produit un sentiment d’étrangeté. Jusqu’en 2008, Dijkstra photographie – dans de très beaux cadrages – le même sujet qui devient peu à peu une jeune femme – on la découvrira enceinte –, mais aussi une Néerlandaise comme les autres. De façon analogue, la série des Olivier (2000-2003) portraiture un jeune engagé dans la légion étrangère. De façon sidérante, le « beau gosse » touchant de fragilité, à la beauté gracieuse, mêlant candeur et assurance en début de série, encore adolescent, laisse peu à peu la place à un jeune homme endurci. Les portraits d’appelés israéliens interrogent aussi la socialisation à la dureté et la prise en charge de rôles qui sont soudain imposés par le passage à l’âge adulte.
La différence principale de la présente rétrospective avec l’exposition de Rineke Dijkstra montrée en France au Jeu de Paume en 2004-2005 tient en la présence de cinq vidéos qui constituent proprement des photographies animées. Là encore, en s’intéressant à des jeunes dansant dans des discothèques à Liverpool et aux Pays-Bas, à un groupe d’écoliers confrontés à une œuvre de Picasso que le spectateur ne voit pas, ou à une enfant, toute absorbée dans ses efforts, s’appliquant à reproduire un chef-d’œuvre dans un musée (Ruth Drawing Picasso, 2009), Dijkstra s’efforce de comprendre les mystères de l’enfance et de l’adolescence. Et cette humanité que donnent à voir ses photographies comme ses vidéos est très belle.

Rineke Dijkstra : A Retrospective

Solomon R. Guggenheim Museum, 1071 Fifth Avenue, New York, du 29 juin au 8 octobre 2012. Commissaires : Jennifer Blessing et Sandra S. Phillips

Légende photo

Rineke Dijkstra Autoportrait, Marnixbad, Amsterdam, Pays-Bas 19 juin 1991 - c-print - 35 x 28 cm - © Rineke Dijikstra de Marian Goodman Gallery, New York

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°374 du 7 septembre 2012, avec le titre suivant : Rineke Dijkstra sonde les âmes au Guggenheim Museum

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