Gasiorowski, fou de peinture

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 4 septembre 2012 - 815 mots

En perpétuelle quête de vérité, « Gasio » s’est nourri tout autant des premières peintures rupestres que des œuvres des plus grands maîtres.

SAINT-PAUL-DE-VENCE - C’était il y a près de trente ans. Mais Adrien Maeght, avec tendresse et sourire amusé, soupçonne encore aujourd’hui Gérard Gasiorowski d’être venu à la Fondation Maeght en 1984 et d’avoir discrètement pris les dimensions de la grande salle Giacometti afin de réaliser une œuvre sur mesure qu’il rêvait d’y accrocher. On peut croire sur parole Adrien Maeght : les deux hommes se connaissaient tellement bien qu’ils se devinaient. Leur rencontre avait eu lieu en 1972. Dès 1975, le galeriste avait proposé au peintre de faire une lithographie. De là naquit entre eux une grande amitié, de celle qui rapproche quelquefois un galeriste et un artiste. Le premier a ainsi collectionné pendant dix ans les œuvres du second (en fait jusqu’à sa mort en 1986), il l’a soutenu et lui a permis de travailler. Et de réaliser notamment cet immense déploiement de peinture, Stances, de 40 m de long sur 2 m de haut.

Dans l’exposition qu’il avait consacrée à Gasiorowski en 1986 au FRAC des Pays de la Loire, à l’Abbaye Royale de Fontevraud, Jean de Loisy en avait présenté une grande partie mais, par manque de place, il n’avait pas pu la montrer complètement. Si jusqu’à maintenant elle n’avait jamais été montrée dans sa totalité, c’est désormais chose faite. Et, pensée ou non pour le lieu, elle s’y inscrit en tout cas magnifiquement. Elle est d’ailleurs l’un des moments forts de cette exposition titrée « Gasiorowski XXe-peintre », joliment sous-titrée « Vous êtes fou Gasiorowski, il faut vous ressaisir… »

On ne peut pas vraiment dire que l’artiste soit sous-exposé. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler les nombreuses manifestations importantes qui lui ont été consacrées, à commencer par l’exposition organisée dès1983 (un an après celle marquant son entrée à la galerie Maeght en 1982) par Suzanne Pagé au Musée d’art moderne de la ville de Paris. On peut également citer celles présentées, à nouveau par Jean de Loisy au Centre Pompidou en 1995, et par Frédéric Bonnet (collaborateur du JdA)  et Éric Mangion au Carré d’Art de Nîmes en 2010. Faut-il voir ici une énième manifestation, une de plus ? Non, car celle-ci est le premier hommage que la Fondation rend, légitimement, à Gasiorowski et elle est la première entièrement consacrée à sa peinture, avec des œuvres jamais ou peu présentées. La peinture qui, même s’il a pratiqué d’autres disciplines a, au fond, occupé toute sa vie.

Un vrai peintre
L’accrochage ici principalement chronologique en témoigne, épousant les années de création de l’artiste. Le parcours, ensuite, nous en convainc en rappelant comment d’une époque à une autre, d’une série à une autre, Gasiorowski a toujours mis la peinture, « cette matière coagulante et brillante qui sort du tube », au centre de sa réflexion en entretenant avec elle des rapports aussi passionnels que contrastés. Il vivra aussi bien la rupture radicale – allant même jusqu’à cesser de peindre pendant onze ans, de 1953 à 1964 – que l’osmose relative en passant par des conflits divers ouvertement déclarés ou des mises à distance ingénieuses, à l’exemple de la création d’une Académie fictive, l’AWK, l’académie Worosis Kiga (anagramme de son nom).

Des toiles aux étonnants gris pâle, accrochées dans la première salle, datées de 1964, 1965, 1966, inspirées de photos et mettant en doute l’image, jusqu’à Stances, tout le parcours souligne cette relation en forme de « Je t’aime, moi non plus » avec la peinture. Après le doute qu’une image peut insinuer, la suite des Cérémonies révèle  notamment une relance de la peinture et de la couleur, puis apparaissent  une réflexion ironique et une mise en avant de la matière avec Les Croûtes, la défense de la peinture (former le carré) avec Les commandements ou, comme l’indiquent les titres des séries qui parlent d’eux-mêmes, « Régression et impuissance, La guerre, les Recouvrement pour la protéger ou encore les Symptômes d’une vitalité retrouvée. En somme, effacer, tuer la peinture pour mieux la faire renaître.

Fluctuant de la déprime à l’espoir, du tunnel à la délivrance, l’ensemble montre combien Gasiorowski (né en 1930) était habité par la peinture. Il était un vrai et grand peintre qui, durant toute sa carrière, a su dialoguer avec l’histoire de la peinture depuis Lascaux jusqu’à ses grands maîtres Cézanne, Chardin, Manet (une série est même intitulée Hommage à Manet), et bien sûr, Giacometti avec L’homme qui marche qu’on retrouve évoqué dans Stances, tout au long de cette ligne ; véritable ligne de vie subitement interrompue par l’infarctus qui emporta Gasiorowski le 19 août 1986, sur l’autoroute qui le ramenait à Paris. Une disparition qui fera dire à son ami Jacques Monory : « Merde, je ne vais plus pouvoir parler de peinture à personne ».

Gasiorowski

Commissaire : Olivier Kaeppelin, directeur de la Fondation Maeght

Gasiorowski XXe-peintre. « Vous êtes fou Gasiorowski, il faut vous ressaisir »

Fondation Maeght, jusqu’au 26 septembre , 623 chemin des Gardettes, 06570 Saint-Paul de Vence, 04 93 32 81 63, tlj 10h-19h


Légende photo

Gérard Gasiorowski Stances (1986) - Acrylique sur toile - 200x400 cm - © Photo : Claude Germain

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°374 du 7 septembre 2012, avec le titre suivant : Gasiorowski, fou de peinture

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque