Asger Jorn - Artiste sans frontières

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 4 septembre 2012 - 658 mots

Pour sa première rétrospective en Suisse romande, la Fondation de l’Hermitage offre un hommage vibrant au peintre danois.

LAUSANNE (SUISSE) - Artiste « libre », « nomade », à la « vie démultipliée », Asger Jorn (1914-1973) a envahi les cimaises de la tranquille Fondation de l’Hermitage dans un tourbillon de couleurs, d’empâtements et de gestes fertiles des plus réjouissants. Si Lausanne ne s’impose pas, a priori, pour présenter un art exultant l’âme nordique, la commissaire de cette première rétrospective romande Sylvie Wurhmann rappelle le séjour du peintre danois dans le canton de Vaud à un moment charnière de sa vie. En 1951, l’artiste est victime de la tuberculose et se fait soigner, dix-huit mois durant, au sanatorium de Silkeborg, au Danemark. Il se réfugie ensuite dans un chalet suisse, dans les hauteurs d’Aigle et de Monthey, pendant les six mois que dure sa convalescence. Là, son art prend un tournant radical, loin des élans du groupe CoBrA dont il est l’un des fondateurs. En témoigne la « Suite suisse », une série d’eaux-fortes fantasmagoriques réalisée à la faveur d’une rencontre avec l’imprimeur genevois, Reynold Disteli, qui figure en bonne place dans l’intérieur bourgeois de la fondation vaudoise.

Du touche-à-tout, Jorn en est presque la caricature. Le sentiment d’être confronté à un artiste sans frontières (physiques, morales et artistiques) est particulièrement prégnant à Lausanne. Sylvie Wuhrmann file même une métaphore des plus poétiques en parlant d’un « cerveau ambulant ». Avide de créer et curieux de tout, Jorn s’est intéressé, outre à la gravure, à la céramique, la sculpture, l’aquarelle, au décollage façon  Villeglé et même aux repeints sur des tableaux de tiers. Parmi les régals de l’exposition, une série d’aquarelles prêtée par le musée consacré à l’artiste à Silkeborg, le Museum Jorn, dont on ne sait rien, ou si peu. Retrouvées par hasard coincées dans un catalogue sur Jean Arp ayant appartenu à l’artiste, ces feuilles ont conservé une fraîcheur éblouissante et leurs couleurs vibrent encore. À mi-chemin entre des paysages fauves et des abstractions chatoyantes, ces œuvres sur papier intriguent et fascinent. Preuve que s’il maîtrise son geste pour faire sien un médium d’une grande délicatesse, Jorn parvient encore à créer des tensions tout en finesse. Dans un style plus potache, le parcours propose un bel ensemble de « Modifications », ces toiles médiocres achetées au détour d’une brocante sur lesquelles Jorn a laissé libre cours à son imagination pour un résultat souvent cocasse et toujours iconoclaste.

Amitiés artistiques

En filigrane, apparaissent les amitiés en série que l’artiste a su nouer dans son sillage, au fil de ses séjours à Paris ou en Italie, et dont il s’est nourri tant sur le plan intellectuel qu’émotionnel. Christian Dotremont d’abord, dont la poésie s’inscrit dans les rares « Peintures-mots » – Je Lève, tu lèves, nous rêvons… (1948) et Ici la chevelure des choses… (1948) –, tous ses complices du mouvement CoBrA, de l’Internationale Situationniste, et Pierre Alechinsky bien sûr, l’ami de toujours et le parrain de cette exposition en quelque sorte. Sylvie Wuhrmann a bénéficié de ses lumières mais aussi de ses prêts essentiels. Mort en 1944, Edvard Munch tient pour sa part le rôle de figure tutélaire. Monument de l’expressionnisme, personnage écrasant de la tradition picturale danoise, Munch est omniprésent dans l’œuvre de Jorn. Qu’il inspire directement une large composition teintée de désespoir (Odieuse Fraternité, 1953) ou qu’il se retrouve dans la sinuosité des formes peintes dans les années1950, Munch fascine Jorn. Car il parle à l’âme pour provoquer des émotions, au lieu d’offrir une nourriture rationnelle au cerveau. Aussi attiré fut-il pour la chaleur du sud, Jorn est resté attaché à ses racines nordiques, marquées par l’obscurité six mois par an, pour poursuivre le travail commencé par Munch. Pour faire « entendre cette voix du nord ».

ASGER JORN

- Commissaire : Sylvie Wuhrmann, directrice de la Fondation de l’Hermitage

- Nombre d’œuvres : 150

- Mécènes : Loterie Romande, Fondation Hoffmann, Fondation Leenaards, Fondation Coromandel

ASGER JORN

Jusqu’au 21 octobre, Fondation de l’Hermitage, 2, route du Signal, Lausanne, Suisse, tél. 41 21 312 50 13, www.fondation-hermitage.ch, tlj sauf lundi (ouvert le lundi 17 septembre) 10h-18h, 10h-21h le jeudi. Catalogue, coédition par la Fondation de l’Hermitage et La Bibliothèque des arts (Lausanne), 224 p., 57 CHF (env. 48 euros), ISBN 978-2-88453-172-6

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°374 du 7 septembre 2012, avec le titre suivant : Asger Jorn - Artiste sans frontières

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque