Art moderne

Pierre Bonnard, les copains d’abord

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 2 juillet 2012 - 800 mots

L’œuvre de Pierre Bonnard est aussi une histoire d’amitiés cultivées sur tous les tons de la peinture, comme le démontre l’exposition proposée en son musée des Alpes-Maritimes.

Parmi les beaux moments que réserve « Bonnard et ses amis », figure la succession d’études par Maurice Denis en préparation à son Hommage à Cézanne (1900). Les visages d’Odilon Redon, Édouard Vuillard, Ambroise Vollard, Ker Xavier Roussel, Paul Ranson, André Mellerio, Maurice Denis, Paul Sérusier, Pierre Bonnard et Marthe Denis sont saisis au crayon dans l’exacte posture qu’ils ont sur la toile et, en suivant l’alignement original, l’accrochage fait joliment écho au tableau, reproduit à l’échelle sur un mur adjacent. Tandis que tous se pressent au cœur de la composition, Pierre Bonnard se tient à l’écart, comme s’il observait la scène de loin. Franc-tireur de la peinture qui n’a jamais cédé aux sirènes de l’abstraction, il n’avait du cavalier seul que les apparences. La démonstration est à découvrir au Musée Bonnard, ouvert il y a un an au Cannet (Alpes-Maritimes), dans une exposition (sans prétention) qui aborde la carrière du peintre en trois temps, ou trois périodes de sa vie. Et le parcours est à l’image de l’Hommage à Cézanne : Bonnard est entouré mais garde son indépendance. Ou comment être au contact des autres pour mieux se ressourcer et se recentrer…
À l’origine, l’aventure des Nabis est une histoire de copains faisant ensemble leurs premiers pas dans la vie artistique. De cette saine émulation sont nés pléthore de portraits des uns vus par les autres, comme autant d’exercices de style que chacun soumettait au regard bienveillant de ses complices, sujet de la première partie du parcours de l’exposition. Outre ses excellentes relations avec les descendants du peintre, la directrice du musée, Véronique Serrano, a tiré profit de son partenariat privilégié avec le Musée d’Orsay pour obtenir le prêt de quelques joyaux provenant de collections privées et de grands musées, ce pour offrir une exposition petite par la taille mais grande par les tableaux. Ainsi le troublant portrait de Marthe Bonnard par Édouard Vuillard concédé par la National Gallery of Art (Washington D.C.) rappelle en filigrane l’inimitié que suscitait l’épouse de Pierre dans son cercle d’amis. Un sentiment à mille lieues de l’adoration que tous éprouvaient pour Misia, l’épouse de leur protecteur Thadée Natanson – dans le cadre de son partenariat avec Orsay, le musée du Cannet accueillera l’exposition « Misia Sert » (lire p. 18) à l’automne.

« Les Denis, Sérusier, Bonnard, Vuillard qui s’agitaient à ce moment semblent des individus qu’on a un peu connus. C’est bien curieux », écrira Bonnard à son ami Maurice Denis une dizaine d’années plus tard. C’est à cette période qu’il achète une maison dans l’Eure, en bord de Seine, et commence à fréquenter assidûment son « voisin » le patriarche de Giverny. À cette vie en Normandie correspond un éclaircissement de la palette de Bonnard, l’épaississement de son geste, une brillance renouvelée des couleurs, le tout stimulé par la proximité avec Claude Monet dont l’âme et le corps sont dévoués aux ambitieux Nymphéas. Foin de compétition ou de relation paternelle, Bonnard et Monet se découvrent et se côtoient sur un pied d’égalité (relative). Tous deux partagent le même goût pour l’art japonais et pour la luminosité normande si capricieuse. Et si Monet préfère se concentrer sur la beauté de son jardin, Bonnard regarde le paysage de la vallée de Seine et la nature investit ses toiles. L’exceptionnel Été en Normandie (1912), prêté par le Musée Pouchkine (Moscou), aurait pu également ouvrir le troisième chapitre de l’exposition dévolu au travail autour de la fenêtre. Encadrée par un dais bloquant le soleil, la composition superpose les plans au travers desquels la nature apparaît tel un décor de théâtre.

Lumière domestique
Le rapport entre extérieur et intérieur est au cœur des échanges qu’entretiennent Bonnard et Matisse dès les années 1920. Mais, tandis que Matisse joue sur l’unification des plans, lorsque l’intérieur et l’extérieur ne font plus qu’un, Bonnard, fasciné par l’impact de la lumière naturelle sur la sphère domestique,  veut traduire la fusion des deux univers provoquée par le soleil. En témoigne Le Petit Déjeuner au radiateur, qui multiplie les plans avec audace (murs, porte-fenêtre ouverte dont la vitre réfléchit le paysage extérieur, miroirs…). Le soleil entre par le balcon, laisse une traînée reconnaissable sur le sol et illumine le reste de la pièce. À gauche, au-dessus d’un radiateur, le mur jaune sur lequel le soleil se reflète vibre avec une intensité abstraite à faire pâlir Mark Rothko.

BONNARD ENTRE AMIS. MATISSE, MONET, VUILLARD…

- Commissaire : Véronique Serrano, directrice et conservatrice du musée

Jusqu’au 16 septembre, Musée Bonnard, 16, bd Sadi-Carnot, 06110 Le Cannet, tél. 04 93 94 06 06, www.museebonnard.fr, tlj sauf lundi 10h-18h. Catalogue, coéd. Musée Bonn/Silvana Editoriale, 180 p., 26 €, ISBN 978-8836-62350-1.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°373 du 6 juillet 2012, avec le titre suivant : Les copains d’abord

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