Réflexions sur la maladie et la mort de Théodore Géricault (1791-1824)

Le Journal des Arts

Le 19 juin 2012 - 1027 mots

Jusqu’à présent, les biographes de Géricault rattachent la cause de sa mort à une infection chronique avec atteinte osseuse vertébrale, conséquence de graves chutes de cheval.

La première, Denise Aimé-Azam écrit en 1970 : « Tous ses amis savent à présent qu’il doit s’agir d’une forme de mal de Pott à évolution lente ». Marc Allégret en 1996 et Martial Guédron en 1997 évoquent la même pathologie. Ayant exercé la chirurgie maxillo-faciale pendant trente ans, ma formation médicale m’a fait envisager en effet le diagnostic du mal de Pott ou tuberculose osseuse vertébrale. Le mal de Pott n’apparaît pas à la phase terminale, mais survient rapidement chez Géricault, après une contamination tuberculeuse très vraisemblablement contractée en Angleterre. Cette maladie n’est pas la conséquence, mais la cause.

Le peintre lui-même et ses amis vont nous éclairer sur sa maladie. Le 21 février 1821, Géricault écrit à Pierre-Joseph Dedreux-Dorcy : « J’ai été extrêmement malade mais cela va mieux ; n’en parlez pas à mon père, il s’affecterait trop. Je lui dis que j’ai été enrhumé et vous pouvez lui dire la même chose ; cette concordance l’empêchera de penser quoi que cela soit plus grave ». En 1841 dans la Revue du XIXe siècle (Rouen), Louis Batissier remarque : « Depuis son retour à Paris (après son séjour en Angleterre), Géricault ne se portait pas bien, il se sentait la poitrine faible et fatiguée ». Dans ses mémoires le colonel Bro, ami intime du peintre, signale : « Après un long séjour en Angleterre, (Géricault) revient à Paris — soit fin décembre 1821 – apportant la terrible maladie à laquelle il devait succomber ». Avant donc le fameux épisode de la chute de cheval. Cette chute – ou plutôt ces trois chutes ? – aurait eu lieu en mars ou avril 1822 à Montmartre , ou à Fontainebleau ou au Champ de Mars, entraînant la formation d’un abcès au niveau de la cuisse (face interne ou face externe), comme le relate Montfort, un élève du peintre. D’avril à décembre 1822, Géricault réside chez Dedreux-Dorcy, où il se rétablit lentement. Mais une brutale rechute en février 1823 contraint le peintre à s’aliter pratiquement en permanence (on note cependant une visite à Delacroix le 14 mai 1823) jusqu’à sa mort survenue le 26 janvier 1824.

Montfort précise que la tumeur qui s’était formée près des vertèbres et qui se renouvelait sans cesse avait carié les os. Après plusieurs interventions de drainage et de mises à plat pratiquées par le célèbre anatomisme et chirurgien Dupuytren, Géricault s’éteint dans un état cachectique épouvantable. Le témoignage de Delacroix est terrifiant : « Il est mourant, sa maigreur est affreuse ; ses cuisses sont grosses comme mes bras. Sa tête est celle d’un vieillard mourant » (30 décembre 1823). La notion de pathologie pulmonaire évoquée par Géricault et Batissier, le témoignage de Bro, font immédiatement penser à une tuberculose contractée en Angleterre pendant l’année 1821, avec apparition d’un mal de Pott qui se développe rapidement.

L’ombre de la tuberculose
La localisation du mal de Pott est largement connue à l’époque, puisque la description princeps de Pott date du milieu du XVIIIe s. L’autopsie du frère aîné de Louis XVII, Louis Joseph, le premier dauphin mort en 1789, révèle un mal de Pott avec, outre des vertèbres très cariées, une destruction quasi totale des poumons. La spondylodiscite tuberculeuse succède fréquemment à une primo infection ou à une pleurésie. Parfois associée à d’autres localisations, pulmonaires ou rénales, elle est le plus souvent isolée. D’installation insidieuse, le mal de Pott vire à la chronicité avec des lésions très délabrantes. L’érosion du corps vertébral peut entraîner par compression des racines rachidiennes des troubles neurologiques moteurs à type de paraplégie récidivante mais parfois aussi des troubles de la sensibilité (Collet, Précis de pathologie interne, 1947). Nous pensons à la « sciatique » dont a souffert le peintre en Angleterre (épisode douloureux évoqué par Clément et par Thoré). Les abcès froids tuberculeux paravertébraux peuvent s’établir le long des fascias et se former à distance, au niveau de la cuisse par exemple. On se rappelle l’épisode raconté par Batissier où Géricault, présentant un abcès dans le côté gauche, veut l’évacuer avec une lardoire trouvée dans une auberge. Il s’agit donc d’une pathologie évoluant de la profondeur vers la peau et non comme l’écrit M. Guédron : « creusant progressivement la peau jusqu’au squelette ». En l’absence d’un traitement antibiotique spécifique (qui n’apparaît qu’au milieu du XXe siècle), la mort survient dans un contexte de cachexie très sévère. Le mal de Pott est devenu exceptionnel de nos jours.

Plutôt qu’incriminer une ou trois chutes de cheval, il paraît plus raisonnable à la hauteur des témoignages et à l’examen du tableau clinique, d’évoquer un mal de Pott. Je pense par ailleurs que dans l’esprit de Géricault et de son entourage la notion de chute de cheval, bien réelle n’en doutons pas, a été inconsciemment évoquée et retenue pour expliquer la maladie de l’artiste. Géricault évolue dans un milieu d’aristocrates, de militaires et de cavaliers. Pour mémoire, citons ses anciens camarades chez les Mousquetaires du Roi : le baron d’Aubigny, le comte de Houdetot, normands comme lui. Le colonel Bro est son ami intime ainsi que le colonel Brack. Chez les peintres, Horace Vernet et le baron Gros sont de fervents cavaliers. La tuberculose ne saurait être mentionnée, elle est même niée. Dans son très spirituel petit livre consacré au snobisme, Philippe du Puy de Clinchamps écrit en 1964 : « Un snob primaire – c’est-à-dire un snob mondain ou de salon – taira toujours qu’il a dans sa famille de la tuberculose ou de l’eczéma ». Le premier des peintres romantiques meurt donc d’une tuberculose comme l’Aiglon, Chopin, Aloysius Bertrand, Jules Laforgue et tant d’autres au XIXe siècle.

Ce texte doit beaucoup à Madame Béatrice Haurie, Madame André Haurie, qui nous a permis l’accès à la bibliothèque du Docteur André Haurie, et à Patrick Camescasse, médecin et cavalier. Bruno Chenique, spécialiste de Géricault et commissaire de l’exposition « Géricault, études inédites sur le Radeau de la Méduse », ouverte au Musée Roger Quilliot à Clermont-Ferrand jusqu’au 3 septembre. m’a aussi apporté des précisions utiles.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°372 du 22 juin 2012, avec le titre suivant : Réflexions sur la maladie et la mort de Théodore Géricault (1791-1824)

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