Art concret

Honegger et le mur réconciliés

Les « silhouettes autonomes » en fer peint de l’artiste suisse offrent du relief aux murs de la galerie Lahumière

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 19 juin 2012 - 772 mots

PARIS - Âgé de 95 ans (il est né en 1917 à Zurich, où il vit actuellement) Gottfried Honegger peut difficilement passer pour un jeune artiste. Il est pourtant encore bien vert, comme en témoignent ses œuvres récentes.

Du vert, il y en a d’ailleurs. Et également du jaune, du bleu pastel, du rose layette. Ce qui ne signifie pas pour autant un retour à l’enfance. Pour tenir les couleurs, circonscrire leurs surfaces, il y a aussi des angles, des lignes, droites, courbes, tout y passe. On aurait presque envie de dire qu’elles témoignent d’une belle liberté, si ce n’est qu’elles sont en même temps le résultat d’une grande rigueur, d’une pensée précise, de calculs réfléchis.

Il ne faut en effet pas oublier que si Gottfried Honegger n’a jamais vraiment fait partie du mouvement de l’Art concret, il en a toujours été très proche. Au point, avec sa compagne Sybil Albers, de lancer l’Espace de l’Art concret à Mouans-Sartoux en 1990. Puis, de faire plusieurs donations successives de leur collection désormais présentée dans un splendide bâtiment vert construit à cet effet dans le parc du château de Mouans par les architectes Gigon et Guyer, et inauguré en juin 2004.
En avril 1930, paraissait le seul numéro de la revue Art concret. Sur les six points du manifeste (cosigné par les artistes Carlsund, Doesburg, Hélion, Tutundjian et Wantz) posant les bases de la « peinture concrète », le second point précisait : « L’oeuvre d’art doit être entièrement conçue et formée par l’esprit avant son exécution. Elle ne doit rien recevoir des données formelles de la nature, ni de la sensualité, ni de la sentimentalité. Nous voulons exclure le lyrisme, le dramatisme, le symbolisme, etc. »

La même année, Theo van Doesburg (1883-1931), le fondateur du groupe, également créateur et animateur de la revue De Stijl avançait cette définition : « Peinture concrète et non abstraite parce que rien n’est plus réel qu’une ligne, qu’une couleur, qu’une surface ». En somme une façon de prendre les mots au pied de la lettre, ou autrement dit, de prendre une ligne pour une ligne, une couleur pour une couleur et une surface pour une surface. Ce qui nous ramène au point… de départ et à Honegger qui a toujours fait de ces principes sa ligne de conduite. Pour lui, on pourrait ajouter également le mur. Le titre de son actuelle exposition est d’ailleurs « La réconciliation avec le mur ». S’ils étaient fâchés, cela n’aura donc duré que le temps de quelques séries de tableaux.

Des reliefs pour révéler
En revenant aux reliefs, comme c’est le cas ici, Honegger s’est trouvé face au mur. Il s’oblige à le prendre en compte et à jouer avec lui dans ses espaces ajourés. Il l’explique d’ailleurs très bien (in communiqué de presse de l’exposition) : « J’essaye aujourd’hui d’intégrer l’art au mur et à l’architecture avec le relief ouvert et non encadré. Simplement pour que nous retrouvions l’œuvre d’art totale, comme pendant la période gothique. Une vue globale du monde. Pour moi, il s’agit de rendre visible l’environnement artificiel dans lequel nous vivons… ».

Car à l’exemple du Relief Z 1581 (daté de 2012), tous intègrent la surface du mur pour y révéler leurs ombres portées. Celles-ci sont évidemment plus lisiblement dessinées sur le mur blanc de la galerie que s’il s’agissait d’un papier peint à fleurs. Il est clair en même temps que la diversité du support mural ne peut que multiplier les possibles de l’œuvre. La géométrie s’enrichit ainsi de nouvelles lignes, moins catégoriques, qui viennent introduire un peu d’aléatoire. Une façon de rappeler que le monde intelligible peut converser avec le sensible, que la rigueur peut révéler de l’instabilité et que la science de l’espace sait ouvrir des angles à la poésie.

À ces reliefs, réalisés en fer et aluminium laqué se joignent quatre grands papiers, collage et gouache ou encre et craie. Ce sont évidemment eux les moins chers : 3 000 euros chacun. Une sculpture est affichée à 48 000 euros. Entre les deux, la moyenne des reliefs se situe à 18 000 euros. Lorsqu’on s’étonne de ce prix relativement abordable pour un artiste de cette importance, Anne Lahumière précise qu’« Honegger aime que ses œuvres soient accessibles. C’est son credo. Il préfère qu’une pièce aille dans une collection plutôt qu’elle reste à l’atelier. D’ailleurs, il n’y a pas de pièces anciennes dans son atelier ». Elle ajoute qu’en outre, à quelques exceptions près, les artistes de l’art construit ne font pas de prix très élevés. C’est aussi une autre manière pour l’artiste suisse de défendre son art qui se veut proche des hommes.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°372 du 22 juin 2012, avec le titre suivant : Honegger et le mur réconciliés

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