Kamel Mennour

Panser les blessures de la terre

Par Alain Quemin · Le Journal des Arts

Le 19 juin 2012 - 835 mots

L’univers poétique de l’artiste israélienne Sigalit Landau nous conte les souffrances de sa terre et des hommes, ballottés entre violence et tendresse.

PARIS - La scène est saisissante. Le visiteur qui pénètre dans la galerie Kammel Mennour est d’abord confronté à deux vidéos assez similaires. Face à lui, la première, de format vertical, met en scène un unique olivier ; la seconde en compte deux. Située à la base de l’arbre, une machine l’enserre dans ses griffes et, une fois celui-ci prisonnier, commence l’attaque par de violentes secousses. L’olivier que l’on peut imaginer israélien, tout comme Sigalit Landau, pris de brutales convulsions, la vision saccadée, la poussière soulevée du sol par la chute des fruits, le son qui accompagne l’ensemble, tout concourt à évoquer une rafale de mitraillettes, un corps criblé de balles, et non pas une simple cueillette mécanique des olives. Plus qu’agricole, la machine semble militaire et c’est davantage un char que l’on voit attaquer l’olivier pour qui le combat paraît perdu d’avance. L’arbre ne pourra que céder devant la force. Cet olivier agressé, maltraité par des machines probablement israéliennes, n’est-ce pas précisément le symbole de la paix ?

La puissance évocatrice du travail de Sigalit Landau est ainsi remarquable. L’artiste sait créer des effets visuels et symboliques stupéfiants avec peu de moyens. On se souvient d’œuvres précédentes, qui très souvent, évoquent la douleur du conflit israélo-palestinien : comme cette scène, fascinante et insoutenable à la fois, dans laquelle l’artiste, nue au bord de la mer Morte, se condamnait, imperturbable malgré la meurtrissure de sa chair, à faire du Hula hoop avec un cercle confectionné en fil de fer barbelé.

Ainsi, de ces enfants effaçant dans le sable, de leurs mains et avec l’aide des vagues venant mourir sur la plage, une frontière trop douloureuse, ou nouant entre eux les lacets des souliers de participants à une réunion assis en cercle autour d’une table. Avec Sigalit Landau, l’objet ou l’image est investi d’une force évocatrice que savent lui conférer bien peu d’artistes avec un tel degré de maîtrise.

Une troisième vidéo, située dans la salle suivante, montre des ouvriers palestiniens armés de simples bâtons se livrant, eux aussi, à la récolte des olives telle une attaque. Entre le pays précédent, détenteur de la technologie, tant agricole que guerrière, et ce peuple qui ne dispose guère que des instruments les plus ancestraux, le combat est forcément inégal. De cette violence découle pourtant la vie, les fruits se déversent et roulent ici dans des filets comme hors d’une corne d’abondance. Brassant les olives au sol, les ouvriers produisent des gestes qui semblent immémoriaux et presque féminins. L’eau si chère à Sigalit Landau apparaît lorsque les hommes se lavent les mains et le visage, quand ils boivent cette eau source de vie et de conflit entre Israéliens et Palestiniens. Même quand elle évoque les sujets les plus douloureux et la violence, Sigalit Landau est toujours du côté de la vie. Parce qu’elle est une femme ?

Une œuvre forte et envoûtante
Comme souvent chez l’artiste, le visiteur est ébahi par tant de virtuosité. Si les trois films ne durent que 1 minute 25 secondes, 3 minutes 21 secondes et 6 minutes 6 secondes, il est difficile de ne pas les regarder encore et encore, tant ils sont fascinants par tout ce qu’ils évoquent. Ce travail est d’une intelligence absolue, fort et bouleversant tout à la fois.

Les photographies reproduisent des scènes des films avec toute la violence des mouvements, mais aussi des rais de lumière quasi-divine qui évoquent parfaitement la terre sainte.
La troisième salle est tout entière occupée par des sculptures qui reproduisent, en différentes variétés de marbre, des coussins de maternité, ces objets dont se servent certaines mères quand elles allaitent. Les effets de matière sont étonnants. Par le rendu des volumes et des plis, par le travail des polissages, il est difficile parfois de penser que l’on n’a pas affaire à des œuvres en tissu ou même en latex, mais bien en différentes variétés de marbres venus de pays très divers. C’est un nouveau pan du travail de Sigalit Landau, que l’on connaissait déjà remarquable sculptrice, notamment par ses œuvres en fil de fer barbelé ou ses chaussures, les unes et les autres recouvertes bien souvent de concrétions de sel de la mer Morte. Cette mer, objet de son affection qui se porte, dans cette exposition, sur la terre et la roche. La filiation avec le travail de Louise Bourgeois est évidente, il y a quelque chose de très physique, de très phallique et éminemment féminin tout à la fois.

À 43 ans, Sigalit Landau est déjà une grande artiste. Déjà montrée dans des expositions personnelles au MoMA à New York ou au KW à Berlin, ou dans le cadre du pavillon israélien lors de la dernière Biennale de Venise, elle confirme encore son éclatant talent avec la présente exposition. Il ne lui manque désormais qu’une chose pour s’imposer comme l’une des toutes meilleures artistes de sa génération : une grande galerie aux États-Unis.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°372 du 22 juin 2012, avec le titre suivant : Panser les blessures de la terre

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