Projets contre projets

À la Foire de Bâle, les sections « Art Statements » et « Art Feature », très prisées, sont souvent l’occasion de (re)découvertes

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 6 juin 2012 - 730 mots

L’une est consacrée aux artistes émergents, cette année vingt-sept en provenance de dix-neuf pays auxquels leurs galeries traditionnellement consacrent une exposition monographique.

L’autre, aux contours plus flous, entend mettre en avant la réflexion curatoriale avec obligation pour les enseignes sélectionnées, au nombre de vingt, de concevoir une exposition digne de ce nom, qui plus est s’appuyant sur des individualités fortes, quelquefois confrontées entre elles. Quoique qualitativement très inégales, les sections « Art Statements » et « Art Feature » sont toujours très prisées, qui donnent à voir de véritables projets et pas seulement des accrochages. Elles permettent souvent de faire des découvertes ayant la saveur de la fraîcheur, même lorsqu’elles sont le fait d’artistes établis dont on revisite des pans de l’œuvre ou des travaux méconnus.

L’intérêt d’« Art Feature » est cette année d’avoir renforcé la diversité des époques, sans toutefois relancer une querelle des Anciens et des Modernes. Car au vu de la sélection se fait jour une certaine idée de la fragilité et de l’insécurité qui semble commune à plusieurs des propositions émises. Ainsi des peintures presque immatérielles de Thilo Heinzmann chez Guido W. Baudach (Berlin), tandis que Sorry we’re closed (Bruxelles) expose huit tableaux de la série « La Mort » (1998-1999) de Bernard Buffet. La dernière fut exécutée par le peintre reclus plusieurs mois dans son atelier après un diagnostic de la maladie de Parkinson ; un travail d’urgence dont les figures macabres semblent s’abattre telles des lames de tarot porteuses d’un sentiment mauvais. Andrea Caratsch (Zurich) s’intéresse lui aux autoportraits de Giorgio De Chirico, dans lesquels l’artiste n’a jamais cherché à se présenter sous un jour flatteur. Plan B (Cluj, Roumanie) met à l’honneur le jeune Iranien (installé aux Pays-Bas) David Nuur, dont les installations de néons et la pratique du recyclage mettent l’accent sur ce qui a pu nous échapper de la réalité ou peut paraître sans intérêt.
L’insécurité est aussi celle du territoire et du mental ; celle d’André Masson déclarant : « Mon œuvre est errante. Je ne peux rester trop longtemps sur place ; j’ai préféré le labyrinthe mental aux voies droites et sûres. » Applicat-Prazan (Paris) a regroupé du peintre une quinzaine de somptueux tableaux datés entre 1935 et 1961 et appartenant pour la plupart à deux périodes d’exil, en Espagne et aux États-Unis.

On relèvera également le focus sur le mouvement Gutaï par McCaffrey Fine Art (New York) à travers quatre de ses membres, l’accrochage consacré à Ernst Ludwig Kirchner par Henze & Ketterer (Riehen/Bâle) avec des œuvres exécutées après 1917 et son installation à Davos pour des raisons de santé, ou les présentations de Nick Relph par Herald St. (Londres) et de Cady Noland par D’Amelio Terras Gallery (New York).
Sur « Art Statements », c’est une production artistique aux accents multiples et décomplexés qui semble avoir élu domicile. Soutenu par Motive Gallery (Amsterdam), Aurélien Froment expose 9 Intervals (2011-2012), une double projection vidéo s’intéressant au design de différentes formes de siège en prenant comme point de départ le corps du spectateur.
Des affres de la création il est question chez Laura Bartlett (Londres), qui présente Martin Skauen dont les dessins associés à un film vidéo développent le travail d’un alter ego de l’artiste non sans dévoiler une certaine fragilité. Alors que chez Hunt Kastner (Prague), Dominik Lang s’interroge sur le processus créatif avec le déploiement de Working Model où sont réutilisés des dessins et brouillons provenant de l’atelier de son père, le sculpteur Jiri Lang.

Paysage post-humain
Coutumier de larges installations in situ qui mettent en jeu les principes élémentaires de l’architecture à travers ses structures physiques et le contexte dans lequel elle s’insère, l’Allemand Karsten Födinger prévoit d’envahir le stand de RaebervonStenglin (Zurich) à l’aide d’une structure inspirée par la ville de Bâle et le contexte éphémère d’une foire.
Chez Proyectos Monclova (Mexico), tout à sa manière de rejouer des événements de l’actualité dont, pour certains, lui-même ou ses proches ont été témoins, Edgardo Aragón, avec l’installation filmique La Trampa (2010), se concentre sur une piste d’atterrissage clandestine. Révélation de la Triennale, l’Américain Karthik Pandian prévoit pour le stand de Vilma Gold (Londres) une nouvelle installation mêlant film et sculpture : il y imagine un paysage post-humain dans lequel des chameaux tentent de trouver leur autonomie en s’inspirant des formes de la danse moderne.
La confrontation des époques ne vaut pas que pour les humains !

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°371 du 8 juin 2012, avec le titre suivant : Projets contre projets

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