Art contemporain

Paroles de collectionneurs

Anne Martin-Fugier a interrogé une dizaine d’individus ou de couples sur leur pratique de collectionneur

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 6 juin 2012 - 518 mots

Ce n’est pas une enquête sociologique au sens propre, et pourtant ces dix témoignages de collectionneurs d’art contemporain recueillis Anne par l’historienne Martin-Fugier en disent beaucoup sur une pratique qui n’a rien d’un passe-temps.

Même si l’échantillon n’est pas nécessairement représentatif de la « population », quelques constantes en émergent qui la concernent dans son ensemble. Ainsi du problème de place pour exposer ses achats. On devient collectionneur quand on ne peut plus tout accrocher sur ses murs, selon l’heureuse définition d’Antoine de Galbert. Se posent alors à tous les problèmes de stockage ou de documentation, et chacun d’entre eux connaît les affres suscitées par le paradoxe du collectionneur : comment continuer à jouir des œuvres que l’on a acquises et, subsidiairement, satisfaire l’envie plus ou moins forte des artistes de montrer leur travail ? Le prêt s’impose naturellement avec son nouveau cortège de tracas : sa gestion prend du temps, les œuvres reviennent parfois endommagées, etc. Une autre constante, dépendante ici de l’âge des interrogés, réside dans la préoccupation quant au devenir de leur collection après leur mort.

 Là, les solutions envisagées sont plus personnelles et donc variées. Comme le sont les démarches qui ont conduit les uns et les autres à acheter de l’art contemporain. Entre ceux qui baignaient déjà dans un milieu favorable, ceux qui se sont initiés avec leur « maman » et ceux qui se sont construits tout seul, il existe autant de parcours différents que d’histoires familiales. Et comme la collection est par nature envahissante, à moins d’être célibataire ou veuf, le ou la conjointe y est étroitement associé(e). Une complicité qui se mesure dans les entretiens réalisés avec les couples, tels les époux Billarant ou Sicard. Le rapport avec les artistes semble mettre en évidence une ligne de fracture entre ceux qui souhaitent établir des relations personnelles avec eux et ceux qui les tiennent à distance pour de multiples raisons.

L’intérêt de ces témoignages réside aussi en ce que l’auteure a restitué les propos d’origine, évitant les repentirs ou autocensures a posteriori et conservant un style parlé qui en rend la lecture agréable. On « entend » ainsi des remarques acerbes à l’égard d’un critique d’art bien connu, on relève le nom d’artistes qui seraient passés de mode, on sourit à des anecdotes personnelles. Un côté « entre-soi » transparaît de temps à autre. Le rapport à l’argent revient fréquemment au cœur des préoccupations, si bien que le lecteur se demande parfois s’il est question d’œuvres d’art ou d’actifs financiers. On n’échappe pas à l’historiette mille fois racontée du tableau payé par le biais de multiples petites échéances, une façon de montrer qu’acheter peut se révéler une addiction au-delà de ses moyens. En définitive, l’ouvrage constitue tout autant un témoignage d’une pratique qu’une somme de récits parfois très personnels, car collectionner touche à l’intime. La personnalité des répondants y apparaît en creux : il y a ceux qui sont toujours dans la plainte, ceux pour qui collectionner est une posture sociale, et puis les vrais passionnés. Les plus nombreux.

Anne Martin-Fugier, Collectionneurs

Ed. Actes Sud, Arles, 304 pages, 22 euros, ISBN 978-2-330600671-6.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°371 du 8 juin 2012, avec le titre suivant : Paroles de collectionneurs

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