Patrimoine

Les rêves de l’Inventaire

Michel Melot publie un essai sur les 40 ans d’existence de l’Inventaire général des monuments et des richesses artistiques

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 6 juin 2012 - 692 mots

Alors que le sujet revient régulièrement sous les feux de l’actualité pour cause de remise en cause incessante des règles de protection, le patrimoine semble ne plus guère inspirer d’essais.

Dénué d’esprit de polémique, le livre de Michel Melot vient sobrement, mais à travers un style alerte, remettre les pendules à l’heure, en rappelant à quel point la notion de patrimoine relève de frontières mouvantes rendant inexorable son inflation. L’auteur connaît bien son sujet. De 1996 à 2003, il a dirigé le service de l’Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, ambitieuse entreprise destinée à identifier et documenter les biens patrimoniaux, connus et méconnus, du territoire français. Créé en 1964 par André Malraux, après que l’historien de l’art André Chastel lui en eut suggéré l’idée, ce service du ministère de la Culture a été transféré par la loi du 13 août 2004 de l’État vers ses vingt-six régions, entérinant de fait un véritable changement d’échelle. « Le cadre national était devenu trop lourd et embroussaillé pour contenir le gonflement irrépressible de ce qu’on appelle aujourd’hui le patrimoine culturel », écrit ainsi Michel Mélot, pour clore d’avance tout commentaire sur les bienfaits, ou non, de cette décision politique.

Sans s’appesantir sur cette question aujourd’hui actée, l’essai décrypte toutefois avec pertinence les malentendus originels de l’Inventaire. D’emblée, sa terminologie traduisait en effet une forme d’indécision. André Malraux avait choisi d’évoquer les « richesses artistiques de la France » alors que l’Inventaire est aujourd’hui devenu celui du « patrimoine culturel ». Plus qu’un « cadastre artistique » selon ses propres mots, le ministre rêvait là d’un inventaire systématique qui irait au-delà du travail entamé par les prédécesseurs, quand un Mérimée, pionnier des inspecteurs des Monuments historiques, ignorait délibérément des villes réputées pauvres en patrimoine lors de ses tournées de repérage. L’Inventaire se devait d’adopter une démarche inverse et témoigner d’un véritable travail d’entomologiste. Dans ses premières publications, relevant du manifeste comme le souligne Michel Melot, les conservateurs de l’Inventaire avaient ainsi passé au peigne fin le canton de Carhaix-Plouguer, au centre de la Bretagne. Un territoire jusque-là ignoré. Grâce à une observation méthodique, l’Inventaire devait révéler et rendre visible tous les patrimoines, « de la cathédrale à la petite cuillère » pour reprendre l’expression consacrée.

« Condamné à perpétuité »
L’Inventaire devait agir « comme un explorateur chargé de repérer les objets qui matérialisent les nouvelles valeurs dont chaque collectivité se dote pour exister ». Cela jusqu’à un étrange paradoxe, souligné avec une grande justesse par Michel Melot : en abolissant les hiérarchies, en s’étendant largement, l’Inventaire a ouvert « la boîte de Pandore de l’art » et mis à l’épreuve le grand sujet du ministre, son « Musée imaginaire » reposant sur une liste de chefs-d’œuvre de l’art. La distinction entre « œuvre d’art », qui suppose une intention, et « patrimoine », « qui transfigure n’importe quel objet ordinaire », n’avait pas été posée en amont. Un autre malentendu a porté sur la durée de la mission assignée à ce service. L’idée de départ était de la circonscrire dans le temps. Il sera plus tard reproché à l’Inventaire sa couverture imparfaite du territoire, puisqu’il en touchait seulement 20 % quarante ans après sa création. D’où l’empressement des ministres successifs à voir l’entreprise s’achever alors qu’elle était en réalité vouée à s’accroître au rythme de l’inflation patrimoniale.

En 2004, 9 000 communes avaient ainsi été ratissées, mais le travail aura dû souvent être repris pour prendre en considération de nouveaux patrimoines. Ses créateurs n’avaient pas senti que l’Inventaire était « condamné à perpétuité ». L’État aura préféré le transférer et le rendre ainsi fragmentaire, considérant que c’était désormais aux collectivités de mener ce travail. Michel Melot n’en rappelle pas moins à quel point cette somme de Mirabilia portée à la connaissance de chacun relève aussi de la connaissance de son identité. « C’est, en somme, un effort passionnant et désespéré pour doter de mémoire […] une civilisation qui tend, par son accélération propre, à perdre la dimension historique », avait écrit André Chastel.

MICHEL MELOT, MIRABILIA. ESSAI SUR L’INVENTAIRE GÉNÉRAL DU PATRIMOINE CULTUREL

Ed. Gallimard, 288 p., 22 euros, ISBN 978-2-07-013637-7.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°371 du 8 juin 2012, avec le titre suivant : Les rêves de l’Inventaire

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