Autocélébration

Du design « so british »

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 6 juin 2012 - 837 mots

Le V & A offre un vaste panorama du design anglais, passionnant jusqu’au début des années 1960, mais relevant de l’inventaire clinique pour les décennies ultérieures.

LONDRES - L’occasion, dit-on, fait le larron. De l’autre côté du Channel itou. « Comme le monde entier aura cet été le regard tourné vers la Grande-Bretagne, le moment est idéal pour montrer l’innovation, le goût et la créativité britanniques », estime Martin Roth, directeur du Victoria & Albert Museum à Londres. Le musée propose donc, pour l’occasion, un vaste panorama du design anglais à travers quelque 350 objets qui couvrent la discipline au sens large du terme : mode, mobilier, beaux-arts, céramique, graphisme, photographie, architecture et produits industriels. Intitulée « British Design 1948-2012, Innovation in the Modern Age », la présentation se divise en trois thèmes majeurs : « Tradition et Modernité 1945-1979 », « Subversion 1955-1997 » et « Innovation & Créativité 1963-2012 ». C’est « la première exposition globale qui examine la manière dont les artistes et les designers qui sont nés, ont été formés ou ont travaillé au Royaume-Uni ont produit des travaux innovants et reconnus, de l’après-guerre à nos jours », déclarent les deux commissaires de l’exposition, Christopher Breward, directeur de l’Edinburgh College of Art, et Ghislaine Wood, conservatrice au V & A.

Dès l’entrée, deux événements prestigieux plantent le décor : le « Festival of Britain » de 1951 et, deux ans plus tard, le couronnement d’Elizabeth II. La première manifestation a, paraît-il, stupéfié les visiteurs. À voir certains projets affichés ici on n’en doute pas. En témoigne ainsi ce « Vertical Feature » des architectes Philip Powell et Hidalgo Moya, module futuriste maintenu par des câbles et élancé telle une fusée. Dans les allées, le public s’assoit sur un mobilier métallique à la silhouette sobre, dont l’élégant banc Antilope du designer Ernest Race. Rien n’est gagné pour autant, car on assiste, en parallèle, à une célébration pour le moins romantique de l’héritage architectural britannique. Ainsi, la fresque The Englishman’s Home peinte par John Piper sur une façade du pavillon « Homes and Gardens » – dont on peut, ici, admirer un fragment – fait l’éloge de confortables demeures, du manoir à la maison victorienne.

Aussi étrange que cela puisse paraître, le couronnement d’Elizabeth II, le 2 juin 1953, sera également vécu comme un moment progressiste fort. À preuve, des créateurs de renom sont sur le pont : le couturier Norman Hartnell – il habilla Marlene Dietrich et Elizabeth Taylor –, le professeur du Royal College of Art Robert Goodden, auteur du textile or et bleu qui orna l’intérieur de l’abbaye de Westminster, sans oublier le photographe officiel de la Reine, rien moins que… Cecil Beaton, alors prestataire vedette du magazine Vogue.

Sage subversion
La régénération de cette Grande-Bretagne de l’après-guerre passe par des questionnements esthétiques tous azimuts, autant dans l’espace public que chez soi. À en croire la revue Ideal Home, le « nouveau consumérisme » sera appelé à transformer les intérieurs britanniques. Ainsi en est-il des productions des designers Robin et Lucienne Day, chacun dans leur registre : mobilier pour lui, textile pour elle. Du premier, le visiteur découvre un élégant meuble de rangement en métal et en bois ; de la seconde, le tissu « Calyx », au graphisme stylisé et néanmoins raffiné. Du lendemain de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au début des années 1960, tradition et modernité croisent le fer sans relâche et le visiteur observe ce duel avec délice. La création britannique se montre pour le moins ambiguë, à la fois paternaliste, voire farouchement patriotique, et en même temps optimiste et démocratique, tout entière tournée vers la création d’un monde nouveau et meilleur. Cette première partie explorant les prémices de la modernité au Royaume-Uni est passionnante. Problème : le parcours se gâte ensuite. C’est comme si, une fois les fondements remémorés, tous les moments phares qui suivirent, du Swinging London des sixties jusqu’au Cool Britannia des nineties, s’enchaînaient tel un inventaire froid. Certes, rien ne manque : la mythique Mini carrossée par le designer Alec Issigonis, un cliché du mannequin Twiggy par le photographe David Bailey, le célèbre « logo-langue » des Rolling Stones imaginé par le graphiste John Pasche, le restaurant Pharmacy de l’artiste Damien Hirst, des vêtements des stylistes Hussein Chalayan ou Alexander McQueen…

Mais tout est mis sur le même plan, sans fil conducteur ni propos. La section pourtant baptisée « Subversion » est sage comme une image, avec une période punk quasiment lyophilisée. Pis : de l’industrie aéronautique (Concorde) ou automobile (Jaguar) à l’architecture (le Centre aquatique de Zaha Hadid pour les J.O. londoniens) – en passant par les jeux vidéo (le studio Rockstar North, concepteur de « Grand Theft Auto »), le volet intitulé « Innovation & Créativité » vire à la simple présentation cocardière. Dommage !

BRITISH DESIGN 1948-2012, INNOVATION IN THE MODERN AGE

Jusqu’au 12 août, Victoria and Albert Museum, Cromwell Road, Londres, tél. 44 20 79 42 20 00, tlj 10h-17h45, jusqu’à 22h le vendredi, www.vam.ac.uk. Catalogue, V&A Publishing, 25 livres (env. 31 euros).

BRITISH DESIGN

- Commissaires de l’exposition : Christopher Breward, directeur de l’Edinburgh College of Art ; Ghislaine Wood, conservatrice spécialisée au Victoria & Albert Museum

- Nombre de pièces : 350

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°371 du 8 juin 2012, avec le titre suivant : Du design « so british »

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