Sculpture

Venise

Urs Fischer, sculpteur classique

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 22 mai 2012 - 708 mots

Une brise de douce folie souffle sur le Palazzo Grassi qui accueille un remarquable panorama des œuvres de l’intrépide artiste suisse.

VENISE - Urs Fischer est un sale gosse. À l’aube de la quarantaine, le sculpteur suisse apparaît encore tel un chantre de l’irrévérence envers son médium de prédilection qu’il aime bousculer. De même qu’il prend un malin plaisir à désorienter le public, comme lorsqu’en 2006 à la foire Art Basel Miami Beach, sur le stand de la galerie Gavin Brown’s Enterprise, totalement nu, il posait au sol un paquet de cigarettes accroché à un fil de nylon lentement mu par un axe rotatif perché au plafond (Nach Jugenstiel kam Roccoko). Quiconque tentait de s’en saisir faisait alors chou blanc !
Cette œuvre fait partie de l’accrochage concocté par Caroline Bourgeois au Palazzo Grassi, à Venise, qui, en une trentaine d’œuvres propose un remarquable panorama de son travail synthétisant des problématiques parfois opposées, mais redoutablement complémentaires.
Irrévérence ? Si des références à des monuments de la sculpture sont récurrentes, elles frisent parfois l’insolence comme ces chaises tartinées d’un amas de peinture acrylique qu’on associe immanquablement à Beuys [Chair (Sewn), 1998-1999] ou des orifices corporels découpés et suspendus à des fils de fer [Untitled (Holes), 2006] qui ne sont pas sans évoquer Naumann.

Quand l’insolence flirte avec les conventions
Mais l’irrévérence touche à la discipline elle-même à travers cette manière particulière qu’a l’artiste de se défaire des conventions de la sculpture, art qui dans son acception classique est souvent perçu comme solide et permanent, en vue de lui conférer, plus qu’une fragilité, une instabilité chronique en la plaçant dans un état précaire. Ainsi de ces légumes remplaçant des tubes de néon et appelés à un pourrissement inexorable (Neon, 2009, avec Georg Herold). Ou de ses célèbres bougies (ici deux effigies de lui-même et Rudolf Stingel) qui adoptent la temporalité de l’exposition en se consumant progressivement, ne laissant plus à la fin qu’une masse informe. Dans le rendu qu’il donne du monde, Fischer n’entrave pas la fragilité du réel mais à l’inverse la souligne et l’utilise.
Se pose là un autre enjeu de son travail relatif à la manière de faire une image, bien au-delà du problème de la seule représentation, tant il est ici question de reconstitution du réel, comme avec cette série de parallélépipèdes en miroir sur chaque face desquels sont sérigraphiées toutes les vues d’un objet (agrafeuse, briquet, pince à linge…), ou ce canon en suspension qui semble vouloir entraîner un fauteuil dans un mouvement ascensionnel (A Thing Called Gearbox, 2004). Cette manie de faire sculpture d’à peu près tout alliée à la déconstruction de l’image se traduit par l’édification de pièges pour l’œil, quand la précarité de ce qui est donné à voir conduit en outre à renverser les perspectives et les habitudes du regard ; permettant ainsi d’échapper à tout ce qui fige le mouvement ou l’interprétation de l’œuvre.
Fischer serait-il alors un fossoyeur de la sculpture traditionnelle ? La chose est loin d’être entendue car dès l’entrée de l’exposition, dans l’atrium du Palazzo, est posée une réplique de son ancien atelier (Madame Fisscher, 1999-2000). Outre qu’elle installe d’emblée « le faire », cette reconstitution met aux prises avec un artiste face à sa spontanéité et ses hésitations, ses sources d’inspiration et ses tentatives, soit rien d’autre qu’un fonctionnement des plus classiques. Le coup de génie de l’accrochage tient dans le fait de lui avoir superposé dans l’espace, au premier étage donc, une installation réalisée en collaboration avec Georg Herold. Occupant toute une salle, Necrophonia (2011) est composée d’une multitude de petites sculptures en bronze posées sur des socles d’atelier, imparfaits. Elles-mêmes ne sont pas parfaites, comme des essais. On y trouve des petits corps expressifs et de nombreux fragments. Et sur un canapé, une femme nue que l’on croirait factice au premier regard surprend par sa condition de modèle vivant. Voilà alors condensés, dans un beau retournement chez un artiste « à la mode », le réel et l’artificiel, l’image et l’objet, la sculpture et sa conception, dans une veine académique. Preuve est ainsi faite qu’on peut s’ingénier à défier les règles de la discipline tout en demeurant un… sculpteur classique !

Urs Fisher

- Commissaire : Caroline Bourgeois
- Nombre d’œuvres : 35

URS FISCHER. MADAME FISCHER, jusqu’au 15 juillet, Palazzo Grassi, Campo San Samuele 3231, 30124 Venise, tél. 39 041 523 1680, www.palazzograssi.it, tlj sauf mardi 10h-19h. Catalogue à paraître

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°370 du 25 mai 2012, avec le titre suivant : Urs Fischer, sculpteur classique

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