Art roman

Cluny redécouvre son portail

Par Suzanne Lemardelé · Le Journal des Arts

Le 22 mai 2012 - 687 mots

Très endommagé, le grand portail roman de l’abbatiale de Cluny III est reconstitué
physiquement et virtuellement au Musée du Moyen Âge.

PARIS - Au XIIe siècle, l’abbatiale de Cluny III régnait sur la chrétienté. 187 mètres de long, 35 mètres sous la coupole, cinq nefs, six clochers… Seul le gigantisme de Saint-Pierre de Rome détrônera quatre siècles plus tard la Major Ecclesia bourguignonne. Il aura fallu les réquisitions de la Révolution et des années de pillages pour que le terrain soit disloqué et que l’église, démantelée, devienne, au XIXe siècle, une carrière de pierre. Ses sculptures sont dispersées de par le monde, quand elles ne servent pas de remblai pour les fondations des maisons alentour, et l’on n’hésite pas à faire sauter à la poudre les éléments les plus difficiles à démonter. C’est le cas du grand portail roman de l’abbaye. Sculpté vers 1110-1120, son tympan monolithique de 23 tonnes explose en milliers de fragments en 1810, marquant ainsi le début d’un « puzzle archéologique » dont le Musée du Moyen Âge dresse aujourd’hui un état des lieux. Oublié pendant plus d’un siècle, l’ensemble est d’abord redécouvert par un Américain, Kenneth John Conant, archéologue-architecte et passionné d’art roman. L’une des trois salles de l’exposition est consacrée à cet homme qui voua sa vie entière à l’abbatiale, noircissant des pages de croquis et dépouillant les rares sources disponibles pour compléter les résultats de ses fouilles. Sur les photographies présentées, on le voit assister en 1928 au coup de pioche inaugural du chantier, en compagnie de notables clunisois. Il est le premier à imaginer une reconstitution du grand portail et intègre dans un grand crayonné à la craie les fragments lapidaires qu’il déterre avec son équipe : le pli d’un drapé dans l’habit du Christ, le mufle d’un lion dans le tétramorphe.

Vestiges ressuscités grâce aux nouvelles technologies
À l’instar de l’archéologue, l’exposition – la première organisée en collaboration entre la ville de Cluny et le musée parisien du même nom – propose aujourd’hui un nouvel écrin pour les fragments du grand portail. L’aluminium a remplacé le dessin, et une monumentale structure autoportée de sept mètres accueille les pièces les plus significatives, donnant au visiteur une idée à taille réelle de ce à quoi pouvait ressembler l’ensemble. Une idée seulement, une simple évocation, car le travail est toujours en cours et le puzzle en perpétuelle réalisation. Les fouilles menées à la fin des années 1980 ont apporté de nouvelles pièces, mais nombreuses sont celles qui dorment encore dans le sol bourguignon, sous les routes et les maisons qui occupent aujourd’hui le site. Certains fragments sont également conservés dans des collections particulières et leurs propriétaires ignorent parfois leur origine. C’était le cas d’une petite tête d’ange, dont on a découvert quelques jours seulement avant l’ouverture de l’exposition qu’elle ornait l’une des consoles du portail. Elle est présentée face à la reconstitution, avec son pendant et quelques-unes des plus importantes sculptures rescapées. Le très beau Saint Pierre conservé à Rhode Island a traversé l’Atlantique pour l’occasion, tandis que la Tête du soldat endormi expose les lignes pures de son petit visage, toujours coloré de rose. Ces restes de polychromie témoignent d’une réalité aujourd’hui difficile à appréhender : sur le portail de Cluny III, la couleur était partout. Pour permettre au public de l’imaginer, les scientifiques ont mis à profit les progrès des nouvelles technologies. En parallèle de la reconstitution monumentale, une seconde, virtuelle, est donc présentée au début du parcours. Réalisé en partenariat avec l’école des Arts et Métiers ParisTech, le film permet de découvrir les couleurs du programme sculpté, le bleu lapis éclatant du tympan, l’or des cheveux des anges et de la mandorle du Christ, le vermillon des rosettes. Dans l’abbaye virtuelle, le grand portail s’inscrit de nouveau dans son contexte architectural, et à son iconographie répond dans le chœur une seconde représentation de Christ en majesté. Ce travail, ainsi que la structure métallique, quitteront Paris après l’exposition pour être présentés in situ, au Musée d’art et d’archéologie de Cluny. Une façon pour le site de retrouver, un peu, son grand portail disparu.

Cluny, 1120

Commissariat : Damien Berné, Mary Sainsous.

Cluny, 1120. au seuil de la Major Ecclesia, jusqu’au 2 juillet 2012. Musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge, 6 place Paul Painlevé, 75005 Paris, tél. 01 53 73 78 16, www.musee-moyenage.fr, tous les jours sauf le mardi, 9h15-17h45

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°370 du 25 mai 2012, avec le titre suivant : Cluny redécouvre son portail

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