Contrefaçon

Des Pompon pas nets

Des collectionneurs et professionnels s’agacent de la mise à mal du marché des bronzes de Pompon par la prolifération de pièces douteuses

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 9 mai 2012 - 980 mots

Le marché des bronzes de François Pompon, figure majeure de la sculpture animalière moderne, est envahi de pièces douteuses. Des bronzes posthumes, fondus illégalement et vendus à tous les prix, inquiètent les professionnels et collectionneurs avertis. Ces derniers ont mis sur pied un « comité Pompon », auquel les maisons de ventes font encore trop peu appel.

Le marché des bronzes n’a rien de simple, notamment celui de François Pompon (1855-1933), l’un des pères fondateurs de la sculpture animalière moderne. Ses animaux lisses comme des galets sont très prisés. Mais l’apparition ces dernières années sur le marché de nombreux bronzes douteux, proposés à tous les prix, sème la confusion et inquiète professionnels et vrais amateurs. Si l’on interroge la base de données Artprice, entre 2006 et 2011, le nombre d’Ours blanc passés en ventes publiques frôle les cinquante occurrences. Beaucoup ont été ravalés ou vendus à des prix qui s’effondrent. Alors que, de 1986 à 2005, seulement douze Ours blanc sont apparus aux enchères et ont été proposés à des prix à la hausse. Même constat pour d’autres modèles phares du sculpteur, comme la Panthère ou le Canard. « Je suis de plus en plus souvent interrogé par de nombreuses personnes sur la nature des pièces qui se présentent sur le marché  », rapporte un professionnel qui connaît bien l’œuvre du sculpteur. « Elles sont de deux natures : les œuvres anciennes du vivant de l’artiste (pierre, marbre, biscuit, bronze, plâtre dédicataire), dont la cote est largement ascendante. Puis, les bronzes dits posthumes avec une cote à la baisse. Au final, nous avons une double cote croisée en X, où l’amateur se perd. »

« Déficit de qualité »
Pour Pompon, les professionnels distinguent les fontes réalisées du vivant de l’artiste, lesquelles sont irréprochables, rares et se vendent très chères lorsqu’elles se présentent en ventes publiques. Une belle épreuve de l’Ours blanc exécutée du vivant de l’artiste ne vaut pas moins de 100 000 euros. Concernant les tirages posthumes, rappelons que l’artiste, qui ne souhaitait pas que ses sculptures continuent d’être éditées après sa mort, avait donné et légué par testament ses plâtres originaux à l’État français, et demandé à son exécuteur testamentaire, René Demeurisse, de détruire tout moule et épreuve de plâtre en surnombre. « Il ne reste aujourd’hui sur le marché plus de plâtres, hormis ceux d’époque, essentiellement dédicacés par Pompon et offerts à ses proches ou à ses amis, facilement reconnaissables à leur ancienneté et à leur qualité, souligne un marchand spécialisé. Pour ce qui est des bronzes posthumes, les seuls acceptables à notre avis sont ceux produits par l’exécuteur testamentaire lui-même, entre environ 1954 et 1961, avec un accord administratif l’autorisant prétendument à aller contre le testament (dont on se demande finalement quelle est la valeur juridique mais qui existe). » Les archives Pompon montrent que ces bronzes se trouvent en petit nombre et qu’ils ont pu contribuer à renforcer la postérité du sculpteur. Sauf que la production de bronzes posthumes de Pompon ne s’est jamais arrêtée…
Selon les mêmes archives, des tirages postérieurs à la mort de l’exécuteur testamentaire (qui n’a jamais été détenteur des droits de reproduction) ont repris contre le testament, mais sans accord administratif, « dans un esprit de lucre et avec un déficit de qualité qui est allé crescendo », déplorent plusieurs professionnels. « Ils sont pour nous sans valeur. De surcroît, parmi ceux-ci, de nombreux tirages non numérotés situés dans les années 1970 sont en infraction avec le décret fiscal de 1968, qui impose la limitation et la numérotation (ou le cachet reproduction). Ils sont pourtant certifiés par des gens qui se proclament experts de Pompon ; nous arrivons à une situation comparable à celle de Diego Giacometti. »

Le problème de l’expertise
Outre les faux grossiers, qui trouvent des débouchés dans de petites maisons de ventes belges, la prolifération des bronzes tardifs illégaux de qualité moindre (qui sont en réalité des contrefaçons) pollue le marché de l’art. Les maisons de ventes ont tendance à s’en remettre à leur expert. Deux spécialistes de Pompon « attitrés » sont particulièrement sollicités. Jocelyn Reboul, décédé à la fin de l’année 2011, mais dont les certificats portant sur des œuvres tardives vont continuer de circuler pendant longtemps, et Liliane Colas, coauteur du catalogue raisonné de l’artiste. Cette dernière fait autorité en tant qu’expert du sculpteur, bien que beaucoup lui reprochent son manque de rigueur. Elle se défend, prétendant faire le tri : « Pour une fonte posthume – par définition qui n’a pas été autorisée –, je tiens compte du respect du modèle d’origine, de la qualité de la fonte et de la patine. »
Depuis une dizaine d’années s’est mis en place un « comité Pompon », sous la houlette du marchand et expert François Lorenceau aidé de son fils Antoine, comité qui ne serait pas beaucoup sollicité par les maisons de ventes. Et pour cause, faisant preuve de la même exigence que les plus grands marchands dans ce domaine, il n’authentifierait certainement pas toutes les pièces qui se présenteraient sur le marché. C’est pourtant vers le comité Pompon (en l’étoffant d’un ou de deux spécialistes supplémentaires pour lui donner plus de poids) qu’il faudrait se tourner pour assainir le marché, au prix de la reconnaissance d’un certain nombre d’erreurs passées. En attendant, « il faut dire aux gens que l’achat d’un Pompon en ventes publiques demeure le plus grand risque d’acheter un faux, mais aussi sur les petites foires et dans les déballages, insiste un professionnel. Et qu’il vaut mieux acheter une belle reproduction à 300 euros ou, à l’opposé, une pièce de très grande qualité pour un prix très conséquent, et oublier tout le  moyenne gamme  qui ne pourra que susciter de grandes déceptions ».

Légende photo

François Pompon (1855-1933) - Canard (1911) - Bronze à patine noire - 18 x 14,8 x 11,2 cm - © Photo courtesy Christie's Images Ltd. 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°369 du 11 mai 2012, avec le titre suivant : Des Pompon pas nets

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