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Un Witkin plus serein

Baudoin Lebon présente une série moins baroque, plus sage, de l’artiste américain

Le Journal des Arts

Le 9 mai 2012 - 477 mots

PARIS - Le discours critique qui entoure l’œuvre de Joel-Peter Witkin (né en 1939 à Brooklin, New York) est depuis toujours religieusement manichéen. Trop mégalo, trop chrétien, simple copieur, provocateur grossier pour certains ; maître incontesté et génial technicien pour les fidèles.

« Je dois avouer qu’au début j’étais sceptique sur la profondeur de son travail, raconte Baudoin Lebon, son galeriste depuis vingt-cinq ans. Mais quand j’ai rencontré l’artiste, que je l’ai aidé à réaliser des photos, j’ai compris sa qualité. Il est je pense l’un des plus grands artistes de la photo de la fin du XXe siècle. »
Joel-Peter Witkin est depuis une quarantaine d’années cet œil en trop dans le paysage artistique contemporain. Un œil de Caïn qui, dans ses tableaux photographiques, mêle la mort à la vie en composant des images avec des restes humains, des freaks [monstres], des infirmes et de multiples renvois à l’histoire de l’art occidental, à l’iconographie religieuse et à la mythologie antique. Et dans toute cette gymnastique post-mortem et ce cirque anatomique référencés, théâtre d’une cruauté expiatoire, il injecte une grâce baroque au cadavérique, du panache à l’anormal et aux pratiques sexuelles désaxées. Il y a donc matière à s’énerver ou à s’émerveiller puisque l’artiste bénéficie à Paris de deux expositions. À la Bibliothèque nationale de France (BNF), la commissaire, Anne Biroleau, a instauré un dialogue fécond entre un large ensemble d’œuvres de Witkin des années 1980 à aujourd’hui, et une admirable sélection d’estampes de Rembrandt, Goya, Rops, Picasso, issues des collections de la BNF. La conversation entre les différentes danses macabres, les obscures beautés ou l’écœurement dantesque et sadique est animée. C’est aussi la matérialité des images soumises aux nombreux gestes de Witkin, en amont et en aval du tirage (grattages, interventions chimiques, peinture à l’éponge ou au pinceau) qui rend ses photographies si insondables [nous y reviendrons]. Mystère stylistique et vigueur pernicieuse ne se retrouvent malheureusement pas sur les cimaises de Baudoin Lebon, qui présente les dernières œuvres de l’artiste. L’excessif, le dévorant, le déréglé laissent place à des pièces plus sages, raisonnables, moins épaisses. « Son travail est plus serein, explique le galeriste. Sa dernière série est moins baroque, plus radicale dans les couleurs. Il évolue. » Côté vente, exception s’il en est, Witkin s’en sort mieux en Europe qu’aux États-Unis, même si son image emblématique, Le Baiser, s’est vendue 50 000 dollars (env. 38 000 euros) en 2009 chez Christie’s à New York. « Les galeries américaines sont devenues plus timorées avec son œuvre depuis quelque temps, confie Baudoin Lebon, peut être à cause du puritanisme. Sa cote n’a pas beaucoup progressé au regard de l’importance de l’œuvre et de l’âge. Il reste très bon marché comparé à Cindy Sherman ou Serrano. » Néanmoins Monsieur Witkin, la mort vous va toujours très bien.

Joel-Peter Witkin
- Prix : 7 500 à 15 000 euros

Joel-Peter Witkin, Histoire du monde occidental, jusqu’au 19 mai, galerie Baudoin Lebon, 8, rue Charles-François-Dupuis, 75003 Paris, tél. 01 42 72 09 10, www.baudoin-lebon.com, du mardi au samedi 10h-19h et sur rendez-vous.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°369 du 11 mai 2012, avec le titre suivant : Un Witkin plus serein

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