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Deux sœurs en peinture

En suivant le destin des filles Lerolle, Dominique Bona décrit le milieu cultivé de la Belle Époque

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 9 mai 2012 - 487 mots

Lorsque Renoir peint en 1897 les deux filles de son ami et collectionneur Henry Lerolle, il fait en sorte que deux tableaux de Degas, très identifiables, figurent dans le décor. Degas, également ami des Lerolle, fréquente plus encore l’industriel Henri Rouart.

Pourtant lui-même célibataire endurci, le peintre des danseuses et nus féminins manœuvre avec succès pour marier les quatre fils Rouart. Yvonne et Christine Lerolle vont ainsi épouser respectivement Eugène et Louis. Ce double mariage malheureux constitue la trame du nouveau récit biographique de l’écrivaine Dominique Bona, qui s’était déjà intéressée à Berthe Morisot et Clara Malraux.
Élevées dans une « famille bourgeoise éclairée par l’art », Yvonne et Christine Lerolle vont connaître un destin malheureux, ceci mesuré à l’aune de leurs espoirs (ce n’est pas L’Assommoir de Zola). Eugène, tout comme son ami André Gide, aime les jeunes garçons et s’entête dans des projets agricoles démesurés qui le mèneront à la faillite. Louis, tout aussi « superbe égoïste », trompe allègrement Christine et se perd dans des aventures littéraires et éditoriales. Autres temps autres mœurs…, si les frasques extraconjugales des fils Rouart sont tolérées plus ou moins explicitement, l’abandon du foyer conjugual par leur tante Marie Fontaine-Escudier, partie rejoindre son amant, est vécue, y compris par Yvonne et Christine, comme une honte.

Immense collection
Collectionneurs passionnés, notamment de leurs amis impressionnistes, Henry Lerolle et Henri Rouart sont eux-mêmes peintres. Le premier est cependant plus connu par ses commandes publiques. Leur immense collection sera dispersée à l’encan peu après leur décès. Curieusement, Renoir a toujours conservé le tableau des sœurs Lerolle, qui a suivi un destin particulier (c’est l’histoire dans l’histoire) avant d’être exposé aujourd’hui au Musée de l’Orangerie.
L’intérêt de l’ouvrage réside cependant moins dans ces histoires familiales que dans la description d’un certain milieu à la Belle Époque. Un milieu cultivé, ouvert à l’avant-garde picturale – en l’occurrence l’impressionnisme –, à la musique, à la littérature. On croise très souvent dans les salons Lerolle ou Rouart Claude Debussy, Maurice Denis, Paul Valéry et bien sûr Julie Manet, qui a elle aussi épousé un fils Rouart. Un milieu transpercé par les crises de la société française, l’anticléricalisme et l’affaire Dreyfus notamment. Le mariage des filles Lerolle suit de peu la condamnation de Dreyfus (1894), le J’accuse de Zola (1898) et plus tard la réhabilitation du capitaine (1906). Le clivage dreyfusard/anti-dreyfusard traverse même les deux familles, ajoutant aux difficultés conjugales. Le lecteur se perdra peut-être un peu dans toutes les ramifications familiales et amicales, au point d’avoir besoin de se référer très souvent aux arbres généalogiques publiés en fin de volume. Mais en refermant la dernière page, il peut se plaire à imaginer une exposition qui rassemblerait toutes les toiles des personnages du livre tant ils sont nombreux à figurer dans les tableaux des maîtres impressionnistes.

Dominique Bona, Deux soeurs, Yvonne et Christine Rouart, Les Muses de l'Impressionnisme, éditions Bernard Grasset, 385 pages, 20,90 euros, ISBN 978-2-246-79810-1.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°369 du 11 mai 2012, avec le titre suivant : Deux sœurs en peinture

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