Insolite

Le cinéma au temps des cavernes

L’historien Marc Azéma scrute les premières traces du 7e art sur les parois des grottes préhistoriques

Par Chloé Da Fonseca · Le Journal des Arts

Le 9 mai 2012 - 575 mots

Et si le cinéma n’avait pas été inventé en 1895 par les frères Lumières, mais il y a 35 000 ans… Idée étonnante ? C’est pourtant la théorie que soutient Marc Azéma, spécialiste de la préhistoire, dans son ouvrage La Préhistoire du cinéma, publié aux éditions Errance.

Après avoir étudié la représentation du mouvement dans l’art pariétal, l’auteur explique s’être aperçu que « les images paléolithiques étaient beaucoup plus animées qu’on ne le pensait ». Dans les représentations figuratives, apparaît une multitude de mouvements, de la course à l’animation plus discrète d’une oreille, « qui démontre la volonté de la part des artistes de donner vie à leurs créations ». Le « cinéma » serait donc né ainsi, au fond de la grotte Chauvet. Plus précisément, l’image figurative, par essence narrative, peinte par Homo Sapiens représente les prémices de la « grammaire visuelle cinématographique ».
Le préhistorien voyage de grotte en grotte, décrivant les compositions dynamiques des peintures rupestres. Puis avançant dans le temps, de l’Antiquité égyptienne jusqu’à la création du cinéma – le vrai –, il démontre que la narration visuelle préhistorique se perfectionne, aboutissant d’abord à la bande dessinée en 1833, puis au cinématographe en 1895 après l’invention de la photographie.

La superposition des images
Marc Azéma a déchiffré deux procédés narratifs développés par l’homme préhistorique : la juxtaposition et la superposition d’images successives. La juxtaposition d’images s’apparente à la bande dessinée ; certains ensembles graphiques sont définis en « séquençage d’images dont le but était de présenter, de raconter des récits ». On retrouve cette technique narrative dans toute l’histoire de l’art (ainsi dans la colonne Trajane à Rome ou les retables chrétiens du Moyen Âge), jusqu’au story-board du cinéma. Quant à la superposition des images, il s’agit du processus de décomposition, de démultiplication du mouvement, souvent des pattes de l’animal se déplaçant, qui engendre un effet de « flou dynamique » auquel a recours encore une fois la bande dessinée. Ces images, Marc Azéma les a soigneusement décomposées, mouvement par mouvement. Cette technique préhistorique de superposition des images peut être rapprochée des travaux optiques du XIXe siècle, des phénakistiscopes (dont l’auteur a découvert un ancêtre dans l’Antiquité iranienne) à la photographie instantanée d’Eadweard Muybridge.
Les hommes des cavernes avaient-ils conscience de la persistance rétinienne, capacité visuelle inhérente au processus cinématographique ? Plus surprenante, la découverte des premiers thaumatropes (des jouets optiques) 15 000 ans avant leur invention en 1825. Outre qu’il considère les premiers hommes comme les inventeurs de la narration graphique, Marc Azéma nous a confié : « Je suis intimement convaincu que ces procédés de décomposition du mouvement et ces thaumatropes préhistoriques sont l’œuvre d’individus, d’artistes plus doués que la moyenne, qui ont poussé dans les limites de leur technologie la représentation du mouvement, pressentant inconsciemment le principe de persistance rétinienne. »
L’ouvrage est accompagné d’un DVD qui permettra de convaincre les lecteurs parmi les plus récalcitrants. Dans une fascinante séquence sur les dessins animés préhistoriques, le chercheur, qui est aussi réalisateur, recompose numériquement les animations et achève de donner vie à ces animaux figés dans la roche il y a des dizaines de milliers d’années. Ainsi, comme il le conclut, « déjà, au fin fond des salles obscures de leurs cavernes, [les hommes préhistoriques] faisaient leur cinéma ».

Marc Azéma, La Préhistoire du cinéma. Origines paléolithiques de la narration graphique et du cinématographe, préfaces de Jean Clottes et Bertrand Tavernier, éd. Errance, 2011, 293 p., 39 euros, ISBN 978-2-87772-431-9

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°369 du 11 mai 2012, avec le titre suivant : Le cinéma au temps des cavernes

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