Paroles d'artiste

Boris Achour - « Vivre dans un monde où il fait tout le temps nuit »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 9 mai 2012 - 749 mots

Au Crédac, à Ivry-sur-Seine, Boris Achour né en 1966) imagine, avec un dispositif ambitieux incorporant films, sculptures, musique et littérature dans une temporalité définie, un monde privé de jour.

Frédéric Bonnet : Votre exposition « Séances » se caractérise par un aspect protéiforme engageant le spectateur dans un déroulé d’une durée de 45 minutes. L’enjeu était-il d’interroger la manière de construire du récit aujourd’hui ?
Boris Achour : Il y avait effectivement l’envie de se demander comment produire de la narration aujourd’hui. C’est une problématique qui m’intéresse énormément et qui est venue progressivement dans mon travail, même si en 2000 j’avais déjà, pour une exposition intitulée « Générique », transformé la galerie Chez Valentin en studio de tournage. Les visiteurs portaient une oreillette et devenaient acteurs en répétant des dialogues et des monologues préalablement enregistrés. Au Crédac, il y a la volonté que tous les éléments structuraux du projet, à des échelles différentes, possèdent un potentiel narratif. Et que les histoires soient racontées avec des formes qui ne soient pas que traditionnelles, par le conte, le langage écrit ou oral, ou le cinéma. Quant à la variété des formes mises en œuvre, « Séances » est à la fois la synthèse et le développement de questions qui me préoccupent depuis plus d’une dizaine d’années, mais que j’avais traitées isolément auparavant : l’idée de l’exposition comme paysage, le rapport à la temporalité, des éléments sculpturaux physiquement présents dans l’espace d’exposition mais activés en tant qu’accessoires dans les films, les collaborations et aussi l’aspect hétérogène et protéiforme de mon travail. Je n’avais jamais concentré tout cela à ce point.

F.B. : La temporalité donnée à la visite vous permet-elle de reconsidérer le format de l’exposition ?
B.A. : Cette question m’intéresse car elle élargit le champ tout en évitant que les choses ne soient figées. En outre, le sous-titre de « Séances » est « Une exposition en forme de spectacle, un spectacle en forme d’exposition ». Il dit bien l’enjeu et le balancement entre les deux. Quand vous allez voir un film ou une pièce de théâtre, la durée est déterminée. Dans le champ artistique, on ne va pas vous obliger à regarder un tableau pendant dix minutes, mais certaines formes ont une durée déterminée. Si ça ne vous plaît pas, vous partez. Ce projet est à la frontière : il est physiquement dans un centre d’art, ressemble visuellement beaucoup à une exposition d’art contemporain avec des sculptures, des films, etc., mais la raison pour laquelle c’est un spectacle c’est justement la durée, car la narration, cela prend du temps.

F.B. : Pour revenir à la question de l’usage de divers médiums, était-ce là une manière de construire un scénario dans l’espace, en volume ?
B.A. : Absolument ! Et d’envisager la porosité entre les champs et les médiums, mais aussi la notion de fragment. Car il me semble que nous avons un rapport totalement fragmenté au réel, aux choses, aux gens, cela rejoint la temporalité. À l’échelle d’une journée ou d’une vie, on ne rencontre les choses que par fragments ; on est tout le temps en train de recomposer mentalement et physiquement des relations.

F.B. : Pourquoi vous être focalisé sur l’idée de lumière et d’un monde plongé dans le noir ? D’autant que tout l’espace se trouve dans une nuit américaine avec les fenêtres couvertes de gélatine…
B.A. : Ce qui m’intéressait dans cette idée d’un monde plongé dans l’obscurité, c’était à la fois son potentiel visuel et ce que le spectateur peut imaginer ; qu’est-ce que vivre dans un monde où il fait tout le temps nuit ? C’est inquiétant et impossible car sans lumière il n’y a pas de photosynthèse, plus de chaîne alimentaire, tout le monde meurt ! Et puis il y a aussi tout cet aspect métaphorique et spirituel de la lumière, d’une manière très simple : la lumière intérieure, quelque chose qui peut renaître, mais qui, et c’est peut-être une éventuelle contradiction, est toujours traité dans l’exposition avec des matériaux et des techniques soit industriels soit artificiels. La lumière n’est pas celle du jour ou du soleil mais ce sont des tubes fluorescents, des bâtons chromés, une nuit américaine, autrement dit un artifice.

La fiche biographique de Boris Achour
 
BORIS ACHOUR. SÉANCES

Jusqu’au 3 juin, Le Crédac, La Manufacture des œillets, 25-29, rue Raspail, 94200 Ivry-sur-Seine, tél. 01 49 60 25 06, www.credac.fr, tlj sauf lundi 14h-18h, samedi-dimanche 14h-19h. Boris Achour expose parallèlement à la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, à Paris, 36, rue de Seine, 75006 Paris, jusqu’au 15 mai

Légende photo

Vue de l'exposition de Boris Achour Séance - Crédac - Ivry - © Photo André Morin/le Crédac pour Le Journal des Arts 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°369 du 11 mai 2012, avec le titre suivant : Boris Achour - « Vivre dans un monde où il fait tout le temps nuit »

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